Histoire du droit criminel chez les Romains

par

Ferdinand Walter, Professeur à l'Université de Bonn.

Traduite de l'allemand
par
J. Picquet-Damesme, Chargé du cours de Droit criminel à la Faculté de Droit de Grenoble.

Introduction (par le traducteur)

Délits et Peines. Notions générales

Délits privés. Le.vol, La rapine, L'injure, Le dommage causé injustement, Faits assimilés aux délits privés, Actions populaires

Délits publics. Délits contre l'Etat, Délits contre la religion, Le meurtre, L'incendie, La magie, Les violences, Les délits conte les moeurs, Le faux, Le plagium, Le péculat, L'usure et les accapareurs, Crimen repetundarum, Crimen ambitus, Délits extraordinaires, Délits militaires, Délits des esclaves.

Des Peines. Division des peines, Des différentes espèces de peines, Des adjudications pécuniaires prononcées par les tribunaux criminels, Des peines proprement dites : peines capitales, Peines non capitales, Peines militaires.

Juridictions pénales. Juridictions des premiers temps de Rome,

Des commissions permanentes.

Procédure criminelle. A) De la procédure ordinaire, De la procédure en usage :
a)Devant les comices.
b) Devant les commissions.
c) Au temps de l'Empire.
Des règles imposées à l'accusation, De la situation de l'accusé, Du jugement et de l'exécution, Voies de recours.
B) Procédures spéciales. De la procédure inquisitoriale, De la proocédure employée contrre les délits de peu d'importance.

Introduction

Ces réflexions préliminaires sont du traducteur.

Il n'est pas rare qu'un écrivain de bonne volonté entreprenne de nous faire connaître un ouvrage justement célèbre chez un peuple voisin, mais dont le titre même est ignoré en France. Le premier soin du traducteur est alors de présenter en quelque sorte au public l'auteur et son oeuvre dans un avant-propos destiné à en indiquer le mérite aux lecteurs, avant de les initier d'une manière intime et complète aux beautés de l'ouvrage. Nous n'avons point à remplir ce devoir envers un savant à la réputation duquel nous craindrions de ne rien pouvoir ajouter. La première édition de l''Histoire du Droit romain a paru en 1840, et n'a pas peu contribué à placer son auteur, M. Ferdinand Walfer, professeur à l'Université de Bonn, au premier rang des jurisconsultes d'un pays qui est justement fier de leur nombre et de leur mérite. Mais ce n'est pas dans sa patrie seulement que M. Walter a fait apprécier une érudition immense unie au plus rare talent d'exposition; ses ouvrages ont reçu en France l'accueil et le tribut d'hommages que notre hospitalité sait loyalement accorder aux grandes supériorités scientifiques. Nous avons eu pour interprète, en cette occasion, un écrivain qui préludait alors aux travaux qui devaient illustrer son nom; voici ce que M. Edouard Laboulaye disait, en 1841, du livre dont nous commençons la traduction : « Restait l'ouvrage de M. Walter, et celui-là, du moins, remplissait toutes les conditions que nous pouvions exiger. Ecrit récemment par un professeur qui s'est constamment tenu au courant de la science, ce livre, purement historique, sans mélange aucun de droit actuel, nous semble l'oeuvre, sinon la plus originale, du moins la plus complète qu'on ait publiée sur l'histoire du Droit romain. » M. Laboulaye fit mieux que de louer l'oeuvre, il entreprit de la faire connaître, et publia en 1841 la traduction du quatrième livre,en faisant espérer dans un avenir prochain le reste de l'ouvrage. Mais vingt ans se sont écoulés, et depuis cette promesse, M. Laboulaye, entraîné par d'autres études, a lui-même écrit des ouvrages qui sont traduits, ou qui mériteraient de l'être. Nous venons bien tard répondre au désir de ceux qui espéraient voir continuer l'oeuvre commencée, et nous ne nous dissimulons pas un précédent qui rend notre entreprise doublement périlleuse; mais nous avons du moins l'avantage de posséderune troisième édition du livre de M. Walter; or, il ne faut pas une longue comparaison pour s'assurer que chacune de celles qui ont paru depuis la première, est un progrès sur la précédente: ce n'est point, il faut le dire, un simple travail de révision, mais une véritable refonte qui a été faite de l'ouvrage primitif; aussi l'auteur mérite-t-il, plus que jamais, par les améliorations qu'il a apportées à une oeuvre déjà remarquable, les éloges qui ont accompagné sa première apparition. Elle a été reçue parmi nous avec une faveur d'autant plus grande par les savants initiés à la connaissance de la langue allemande, qu'elle répondait, il doit être permis de le dire, à une véritable nécessité. En effet, et tout en rendant une pleine justice aux travaux remarquables de MM. Berriat-Saint-Prix, Giraud, Laferrière, Ortolan, etc., nous ne pouvons nous flatter d'avoir en France une histoire complète du Droit romain que nous puissions opposer avec quelque avantage aux nombreux écrits publiés sur ce sujet par les jurisconsultes allemands. Sans doute, il serait glorieux pour un écrivain de notre nation de refaire, sans aucun secours étranger, et par la seule force du génie français, ce qui a été si heureusement accompli par nos voisins; mais, outre qu'on s'exposerait à suivre inutilement une voie déjà battue, ne vaut-il pas mieux reprendre les choses au point où les a placées la science allemande, en vulgariser parmi nous les admirables découvertes, et fournir ainsi des matériaux à ceux dont le talent peut ambitionner un rôle moins modeste que celui du traducteur ? C'est précisément la tâche que nous nous sommes imposée. M. Laboulaye avait commencé son travail, malheureusement inachevé, par l'histoire de la Procédure civile; nous commençons le nôtre par celle du Droit criminel qui fait l'objet spécial de nos études et vers lequel on ne peut nier que soit dirigé en ce moment même l'intérêt de tous les hommes de science, en même temps que les préoccupations de l'opinion publique vivement manifestées par ses divers organes. Le Droit criminel romain est peu connu et peu étudié en France; l'espèce de défaveur dont il est l'objet forme le thème obligé de tous ceux qui, à de trop rares intervalles, ont cherché à ranimer notre ardeur en la tournant vers cette intéressante étude. D'où vient ce dédain pour une partie de la législation qui se rattache plus intimement encore que les autres, aux magnifiques institutions qui ont fait la gloire et la force des Romains, et que nous devons avant tout admirer dans leur histoire? On n'ose plus faire l'éloge du droit civil de Rome, de peur de répéter tout le monde en exaltant cette raison écrite qui a inspiré toutes les législations modernes et fourni des modèles que l'on ne se lasse ni d'admirer ni de copier. Pourquoi donc laisser sans culture un champ qui a été aussi fécond pour le Droit criminel que pour la loi civile?
Peut-être se .méfie-t-on de l'intérêt que peut présenter une organisation judiciaire que l'on supposerait s'être prêtée aux cruautés d'un Tibère ou aux fureurs d'un Caligula. L'époque de servitude et d'avilissement condamnée à subir ces princes détestables ne nous présente en effet qu'une législation pénale déshonorée par le despotisme, et bien différente de celle qui avait vu les beaux temps de Rome; mais on y trouve encore, avec d'utiles leçons, les vestiges des institutions jadis protectrices de la liberté des citoyens, alors détournées de leur sens primitif, et l'on peut mesurer l'importance de ces formes autrefois si respectées, par les efforts que faisaient certains empereurs pour les dénaturer ou les détruire. Cette étude offre donc, même à ce point de vue, des enseignements qu'il n'est pas permis de négliger. L'une des causes du peu de faveur qu'elle obtient nous est indiquée dans une brochure récemment publiée sur ce sujet; l'auteur fait remarquer avec raison que l'enseignement de cette partie de la législation criminelle tient fort peu de place dans nos Facultés de droit; les Institutes de Justinien qui servent de base à l'enseignement du Droit romain ne consacrent qu'un titre très incomplet à une simple esquisse de la procédure et de la pénalité romaine. Les élèves de nos Facultés sont donc autorisés à croire qu'il n'y a rien à apprendre sur un sujet duquel on leur enseigne si peu de chose, et quand ils ont quitté les bancs de l'école, ils n'ont garde de revenir à une étude dont la base première a manqué et dont les détournent des travaux qui leur semblent avoir une utilité plus pratique. D'ailleurs, les livres manquent également sur ce sujet intéressant, et les auteurs qui écrivaient au XVI° siècle sont encore aujourd'hui d'une indispensable ressource pour l'étude de cette matière; nous devons citer, en première ligne, l'ouvrage de Sigonius, maintes fois abrégé ou commenté, et celui de cet excellent Pierre Ayrault qui renferme, il est vrai, une érudition moins sûre, mais dont la lecture est si attachante à cause du profond et sincère amour de l'auteur pour le juste et le vrai, et du courage avec lequel il défendait tout seul les droits de l'humanité à une époque où ils étaient si odieusement méconnus. Mentionnons encore avec M. Laboulaye, Paul Manuce et Hotoman qui écrivaient au même temps, ainsi que Ferratius, résumé par Beaufort, lequel avait déjà propagé de la même manière le livre de Sigonius.
Cependant la studieuse Allemagne vint à s'emparer de ce sujet sur lequel se sont immédiatement concentrées l'ardeur passionnée et l'investigation patiente d'une légion de savants; aussi vit-on paraître presqu'en même temps toute une sérié d'admirables travaux malheureusement inconnus en France; les plus remarquables sont ceux de Geib et de Rein, après lesquels il faut encore citer avec honneur, non seulement Walter et Rudorff, qui ont consacré au Droit criminel la part qu'il doit avoir dans une histoire complète du Droit romain, mais encore un grand nombre de noms également ignorés dans notre pays f); leur liste serait, par son étendue seule, une humiliation pour nous, si nous n'avions à mettre en relief, pour compenser quelque peu notre trop évidente infériorité, d'abord les ouvrages de MM. Faustin Hélie, Ortolan, Du Boys et une étude de M. Rivière, mais surtout, et fort heureusement pour notre amour-propre national, un chef-d'oeuvre que nous pouvons présenter avec confiance à nos heureux rivaux; je veux parler du livre de M. Laboulaye. Ecrit dans un style éminemment remarquable, cet ouvrage renferme non seulement, comme l'indique son titre, une étude sur les lois criminelles des Romains, mais un travail des plus complets sur leur constitution politique, le mécanisme de leurs institutions et les vicissitudes de leur histoire; l'auteur, en exposant avec fidélité les faits juridiques, n'a eu garde de négliger le côté historique et politique de son sujet, et il a su mettre en pleine lumière des principes et des enseignements qui ne se dégagent que péniblement de l'ensemble de faits relatés avec tant de conscience et d'exactitude par les écrivains allemands. On ignore trop ce qu'était la législation pénale pendant les beaux siècles de la République, et cependant il suffirait de se rappeler la grandeur de Rome à cette brillante époque de son histoire pour en conclure par la plus sûre induction que le Droit criminel (toujours en rapport avec le développement des libertés civiles d'un peuple) y avait atteint le plus remarquable degré de perfection. C'est donc peu dire que d'affirmer la supériorité de cette organisation judiciaire sur celle des autres nations de l'antiquité; pour lui trouver une rivale digne d'elle., il faut (en dépit de la théorie séduisante du progrès continu) franchir les siècles, et prendre pour terme de comparaison, non pas la législation pénale de nos pères, non pas celle des contrées de l'Europe moins avancées dans la civilisation, mais celle-là même qui régit aujourd'hui la France, et surtout l'Angleterre, avec les lois de laquelle le Droit criminel romain offre la plus frappante analogie.
Nous ne pouvons mieux prouver la vérité de cette assertion qu'en présentant ici même un tableau rapide de la procédure au temps où Rome, maîtresse d'elle-même comme de l'univers possédait encore ces institutions libres, perdues en même temps qu'une organisation judiciaire qui en était la plus sûre garantie.
Dans les premiers siècles de Rome, la juridiction criminelle appartenait aux rois et aux consuls qui leur succédèrent, mais le peuple ne tarda pas à ressaisir un droit qu'il conserva jusqu'à la fin de la République. Il l'exerçait dans les grandes assemblées des comices centuries ou des comices tribus, quelquefois directement, plus souvent encore en nommant des commissaires (quaestores) qui rendaient la justice en son nom, quand la nature d'une affaire rendait cette délégation nécessaire ou utile. Cet usage, une fois introduit, ne pouvait tarder à devenir général, et il l'était déjà quand le tribun Calpurnius Piso, que ses concitoyens avaient surnommé l'honnête homme (Frugi), fit rendre une loi qui institua la première quaestio perpetua. On appelait ainsi des commissions qui étaient permanentes en ce sens qu'il n'était point nécessaire de faire une nouvelle délégation pour chaque procès, mais dont le personnel se renouvelait toutes les années. Dès ce moment, une révolution était faite dans les lois criminelles. Chaque commission était instituée par une loi qui définissait le délit qu'elle devait punir, et déterminait la peine à appliquer. La procédure était à peu près la même pour toutes les quaestiones; la loi Julia publicorum judiciorum indiqua plus tard un ensemble de règles généralement suivies dans chacune d'elles.
Les Romains attachaient la plus grande importance à tout ce qui avait rapport à leur organisation judiciaire; le droit d'y prendre part en qualité de juges appartint successivement à divers ordres de l'état qui se le disputèrent avec un extrême acharnement, et dont les querelles ensanglantèrent souvent la République. Les deux Gracchus, ennemis du Sénat, réussirent à lui enlever le droit de juger pour le donner aux chevaliers ; Sylla le ravit à ces derniers pour le rendre aux sénateurs, et les deux partis ne cessèrent de lutter que lorsque l'empereur Auguste les eut mis d'accord en organisant sur une base nouvelle les commissions permanentes, et en s'attribuant à lui-même le droit d'appel, pour abandonner au Sénat une juridiction illusoire et dédaignée que ses successeurs ne lui laissèrent même pas. Jadis, chaque commission était présidée par un préteur ou des judices quaestionum qui remplissaient à peu près les fonctions de nos présidents d'assises quant à la police de l'audience, mais dont le pouvoir paraît avoir été plus étendu sous d'autres rapports. Les judices jurati formaient le second élément dont se composait une commission; c'étaient des citoyens chargés temporairement d'un service judiciaire ou criminel. Pour remplir ces fonctions, beaucoup plus importantes encore à Rome que chez nous, puisque les jurés étaient appelés à statuer sur la responsabilité des magistrats à l'expiration des charges publiques, il fallait avoir trente ans, moins de soixante, et faire partie de l'un des ordres dans lesquels se choisissaient les jurés, c'est-à-dire, tantôt le Sénat tantôt les chevaliers, ou appartenir au collége des tribuns de l'aerarium qui, à une certaine époque, participèrent aussi à cette prérogative. Les fonctions de jurés étaient incompatibles avec certaines charges publiques, et ne pouvaient être exercées par ceux dont un jugement avait flétri la considération. Les noms des citoyens appelés à l'honneur de faire partie du jury formaient une liste dont l'étendue varia plusieurs fois: la loi Servilia établit un album de quatre cent cinquante jurés; dans d'autres cas, il y en eut jusqu'à cinq cent vingt-cinq et six cents. Quand Sylla eut arraché le pouvoir aux chevaliers pour le donner au Sénat, les listes se composèrent généralement de trente-deux noms, mais, dans plusieurs procès célèbres, le nombre des jurés ne fut pas moindre de cinquante-un, cinquante-six ou même soixante-quinze citoyens à l'époque où le droit de juger était partagé entre les chevaliers et les tribuns de l'aerarium qui, à une certaine époque, participèrent aussi à cette prérogative. Les fonctions de jurés étaient incompatibles avec certaines charges publiques, et ne pouvaient être exercées par ceux dont un jugement avait flétri la considération.
Les noms des citoyens appelés à l'honneur de faire partie du jury formaient une liste dont l'étendue varia plusieurs fois: la loi Servilia établit un album de quatre cent cinquante jurés; dans d'autres cas, il y en eut jusqu'à cinq cent vingt-cinq et six cents. Quand Sylla eut arraché le pouvoir aux chevaliers pour le donner au Sénat, les listes se composèrent généralement de trente-deux noms, mais, dans plusieurs procès célèbres, le nombre des jurés ne fut pas moindre de cinquante-un, cinquante-six ou même soixante-quinze citoyens à l'époque où le droit de juger était partagé entre les chevaliers et les tribuns de l'aerarium.
Les listes étaient dressées par le préteur présidant les commissions; mais Sylla ayant fait porter une loi qui prescrivait une liste unique pour toutes les quaestiones, le choix du jury appartint au préteur urbain, c'est-à-dire à un magistrat nommé à l'élection, sujet à l'expiration de ses fonctions à une responsabilité redoutable, et dont l'action était limitée comme celle des autres magistrats, non point par la division, mais parle concours des pouvoirs publics. Les noms choisis par le préteur étaient inscrits sur un album publiquement exposé, et la même publicité contrôlait et protégeait tous les actes de la procédure; c'est qu'à Rome le peuple qui souvent jugeait lui-même, croyait qu'il était de son intérêt de savoir comment se rendait la justice en son nom; In plerisque judiciis, dit Cicéron, credebat populus romanus sed interesse quid judicaretur. Les Romains ne connaissaient point le ministère public; cette belle institution manquait à leur organisation judiciaire; aussi l'action publique, qui chez la plupart des peuples modernes est dirigée d'office par un magistrat dans l'intérêt de tous, était laissée aux mains de la partie lésée ou de chaque citoyen qui voulait se porter accusateur. Ce rôle, considéré pendant longtemps à Rome comme un des plus beaux priviléges du citoyen, ambitionné et illustré par. des hommes tels que Caton, Hortensius et Cicéron, ne fut abandonné que sous l'Empire, alors que l'infamie des délateurs eut fait un trafic de fonctions jadis exercées dans les vues les plus nobles et au grand avantage de tous.
Le citoyen, qui aux beaux temps de la République croyait devoir déférer un coupable au jugement de son pays et se porter publiquement accusateur, était d'abord tenu de s'adresser au préteur chef de la commission instituée pour punir le genre de crime poursuivi. Il demandait à ce magistrat la permission de citer celui qu'il voulait poursuivre, et attestait par serment la bonne foi de son accusation; ce premier acte de procédure s'appelait la postulatio. Le préteur, après avoir examiné la demande qui lui était soumise, l'admettait ou la
rejetait, suivant qu'elle lui avait paru recevable ou non en droit; dans le premier cas, il exigeait de l'accusateur le serment de soutenir l'instance jusqu'au jugement. Quand il se présentait plusieurs accusateurs pour un même procès, le préteur était appelé à donner la préférence à l'un d'eux, et le débat qui pouvait s'élever à ce sujet portait le nom de divinatio.
Ceux qui avaient dû céder le pas au citoyen choisi par le chef de la commission ne perdaient pas le droit de jouer un rôle actif au procès; sous le nom de subscriptores, ils se joignaient à la partie principale dont ils soutenaient les efforts de toute l'ardeur qu'excitait leur cause, exerçant une intervention directe dans tous les actes de l'instance, interrogeant les accusés ou les témoins, réparant les oublis échappés à l'accusateur principal, et prenant en un mot dans une affaire la part que peuvent y prendre de nos jours les intéressés que nous désignons sous le nom de parties civiles.
Venait ensuite la nominis delatio, c'est-à-dire la désignation du crime et l'indication de la personne accusée. Cette formalité dont le but était de préciser clairement les faits caractéristiques du procès, était remplie devant le président de la commission par l'accusateur et les subscriptores qui, pour éviter toute équivoque, étaient tenus de dresser et signer une sorte d'acte d'accusation qui résumait tous leurs griefs; le préteur rédigeait alors un procès-verbal constatant l'exacte observation de ces formes auxquelles on attachait une juste importance, car la cause ne pouvait s'engager que sur les questions soigneusement posées dans l'interrogatio.
Lorsque l'accusé, convoqué directement, ou averti par la publicité de ces démarches venait à se présenter au préteur, on lui faisait connaître immédiatement l'accusation qu'on préparait contre lui, et on lui en exposait les détails avec autant de loyauté qu'on mit plus tard de perfidie à la cacher aux malheureux inculpés. L'incroyable usage de laisser ignorer au prévenu jusqu'au fait pour lequel on l'arrêtait, de manière à lui ôter même la possibilité de réfléchir à sa défense est une des plus déplorables conséquences du système inquisitorial, et ne fut jamais entré dans l'esprit des Romains.
« C'est véritablement couper la gorge à l'accusé, dit Ayrault dans un de ces accès d'honnête indignation qui rendent si attachants son livre et sa personne,que de lui tenir secret ce dont on le veut accuser jusqu'à l'instant qu'on lui amène témoins.; la façon ancienne (de commencer par communiquer à l'accusé le libelle de l'accusation) était plus douce et plus équitable). »
Quand l'inculpé avait connaissance de l'acte dressé contre lui, le préteur présidant la commission portait son nom sur la liste des accusés, ainsi que le fait pour lequel il était poursuivi (nomen recipere). Il fixait ensuite le jour de la comparution devant le tribunal, non sans donner au présumé coupable le temps nécessaire pour préparer sa défense; ce délai, qui variait généralement de dix à trente jours, pouvait être encore étendu quand la cause comportait (comme par exemple dans un procès de concussion, crimen repetundarum) la réunion de documents multipliés et d'une recherche difficile. La même publicité accompagnait et contrôlait les actes de la procédure suivie autrefois, soit devant le peuple, soit devant le Sénat ou les commissions. Après la dénonciation publique de l'accusation, l'inculpé était sommé de comparaître devant le tribunal (diei dictio); mais quand le procès était porté devant les comices, le magistrat devait faire connaître par trois fois au peuple assemblé un jour de marché (per trinundinium), la formule exacte de l'accusation (anquisitio); on ne commençait les débats que le troisièmejour, quand les citoyens avaient eu le temps de réfléchir mûrement à la question qu'on leur avait posée.
Immédiatement après la diei dictio ou la fixation du jour des débats, l'accusateur, qui était absolument maître de l'action, réunissait tous les éléments du procès; au moyen d'une autorisation émanée du préteur (lex), il pouvait procéder, sans trouver de résistance, à tous les actes de l'instruction; c'est ainsi qu'il citait et interrogeait les témoins, qu'il faisait apposer les scellés et pénétrait librement dans le domicile des citoyens pour y opérer les perquisitions qui lui semblaient nécessaires. Il se faisait remettre les pièces (instrumenta) qui pouvaient l'aider à prouver l'accusation, ainsi que les registres domestiques (codices accepli et expensi) qui jouent un si grand rôle dans les procès de péculat et de concussion; ces documents étaient réunis dans un dossier sur lequel l'accusateur apposait son cachet; ils étaient ensuite déposés au greffe par les soins du quaesitor, et lus en plein tribunal sur l'invitation de l'orateur (recita litteras, etc.). Mais les Romains respectaient trop les droits de la défense pour donner à l'accusateur un pouvoir qui n'eût point trouvé de contrepoids dans une égale liberté accordée à l'accusé. Ce dernier pouvait donc suivre par lui-même, ou par un mandataire, toutes les démarches de son adversaire, contrôler ses actes et préparer sa défense en usant des mêmes prérogatives que l'accusateur. Cette lutte n'eût pas été à armes égales si l'inculpé n'eût gardé la liberté de ses actes et de sa personne, et tel était le respect des droits du citoyen, que dès les premiers temps de Rome, l'accusé, même d'un crime capital, échappait à la prison en donnant caution de comparaître au jour du jugement. Ce privilége qui avait été introduit, à titre d'exception, par les tribuns, dans un procès fait à Caeso Quinctius, ne tarda pas à devenir d'un usage général et se maintint jusqu'à la fin de la République. Non seulement il existait encore au temps des quaestiones perpetuae, mais la nécessité de donner caution avait même disparu, aussi rien ne garantissait la comparution de l'accusé, si ce n'est l'amour ardent d'une patrie qu'il eût fallu fuir sans retour pour échapper au jugement. « Un citoyen romain, dit M. Laboulaye, quelle que fut la bassesse de sa condition, était un des maîtres du monde, et des fers ne devaient point blesser ces mains souveraines). » La détention préalable était donc à peu près inconnue; cependant quand la nature d'une affaire exigeait des précautions excessives, on employait contre l'accusé comme ressource extrême, non point les chaînes ou les cachots, mais les arrêts (custodia libera); dans le cas où l'on se décidait à user d'une pareille mesure, celui que l'on n'osait encore traiter en coupable, puisqu'il n'était point condamné, était confié à la surveillance d'un sénateur ou d'un magistrat d'un ordre élevé dans la maison duquel il demeurait jusqu'au jour de sa comparution devant les juges. Il est superflu d'ajouter que la gêne de l'isolement ou du secret n'avait aucune place dans la législation, et eût été impossible dans la pratique: libre de communiquer avec ses amis et ses défenseurs, l'accusé n'était l'objet d'aucune de ces rigueurs inutiles et barbares, si propres à paralyser la défense du coupable et à jeter le désespoir dans l'âme de l'innocent.
C'est ainsi qu'à Rome on avait cherché à résoudre ce difficile problème de la détention préventive, qui aujourd'hui encore s'impose aux méditations des législateurs. En mettant en lumière cette,partie remarquable d'une procédure pénale à laquelle on a pu reprocher sa trop grande douceur pour les accusés, nous n'avons pas sans doute la pensée de la proposer comme un modèle absolu dans un temps et des conditions sociales bien différents; mais s'il est vrai qu'à Rome on ait exagéré, au détriment de la sécurité publique, les garanties dues aux inculpés, il est hors de doute aussi que d'autres législations les ont parfois mises en oubli, et si en pareille matière, comme en tant d'autres, le vrai se trouve entre les deux extrêmes, n'importe-t-il pas de connaître les divers excès dans lesquels on s'est jeté en sacrifiant tour à tour les droits de l'humanité ou ceux de l'état social?
L'application de la peine de mort devait trouver peu de place dans les usages d'un peuple qui admettait à peine la détention préventive, aussi disparut-elle presque totalement. L'accusé qui ne voulait point s'exposer aux chances d'une condamnation s'expatriait volontairement; il pouvait quitter la ville, non pas seulement au moment de sa mise en accusation, mais, chose à peine croyable, pendant le procès aux débats duquel il avait assisté jusqu'à la fin, et alors même que le vote déjà commencé avait amené le nombre de voix nécessaire à la condamnation. Une loi sanctionnait alors l'exil, en interdisant le feu et l'eau à celui qui, s'il était coupable s'était puni lui-même, et s'il était innocent, avait eu le tort de douter de la justice d'un pays qui laissait à sa défense toutes les libertés. Quand l'accusé ne voulait point profiter de la faculté qui lui était laissée, il comparaissait devant le tribunal au jour indiqué. Jadis, devant les comices centuries, la citation se faisait solennellement au son de la trompe qui résonnait le long des murs et devant la porte du prévenu; c'étaient les viatores des tribuns qui le convoquaient devant les comices tribus; enfin la citation n'était pas moins publique au temps des commissions permanentes; elle était faite par le héraut du préteur (praeco).
La formation du tribunal était nécessairement le premier acte duquel on s'occupait après la convocation des parties qui procédaient elles-mêmes à cette formalité de deux manières: par editio ou par sortitio, mais avec un surcroît de précautions en rapport avec l'importance d'un acte d'où dépendaient tous les autres. Quand le tirage du jury avait lieu par sortitio, il était fait par le président de la commission, qui, après avoir mis dans l'urne des boules contenant le nom de chaque juré, en tirait autant qu'il en fallait pour chaque affaire. Les parties n'étaient point tenues d'accepter purement et simplement le jury que leur donnait le sort, mais chacune d'elles pouvait, comme chez nous, exercer ses récusations sans indiquer de motifs; elles devaient avoir lieu publiquement; les jurés récusés étaient remplacés par un nouveau tirage au sort qui prenait le nom de subsortitio. Lorsque le juryétait constitué par l'editio, ce n'était pas le magistrat, mais bien les parties qui en nommaient les membres. Selon la procédure imposée par la loi Servilia repedundarum, l'accusateur commençait par désigner cent jurés; l'accusé en nommait un nombre égal, et chacune des parties récusait cinquante noms sur la liste proposée par l'adversaire; la loi Licinia établissait des règles différentes, mais elles tombèrent en désuétude, ainsi que le tirage par editio qui avait l'inconvénient de favoriser l'accusateur en lui donnant la parole le premier pour l'exercice des récusations. Les jurés nommés prêtaient serment (judices jurati), et le tribunal étant constitué, l'instance commençait immédiatement avec cette solennité grandiose habituelle aux actes accomplis par les Romains, et dont tant de chefs-d'oeuvre nous ont laissé le magnifique témoignage.
Le préteur, assis sur sa chaise curule, domine l'assemblée du haut d'une estrade sur laquelle se tiennent avec lui ses licteurs ainsi que les greffiers et les huissiers du tribunal; à ses pieds sont rangés les juges dont le nombre s'est élevé jusqu'à soixante et quinze, oomme dans le procès intenté à Pison. Vis-à-vis d'eux se trouvent des bancs sur lesquels prennent place, d'une part les accusateurs, de l'autre l'accusé entouré de ses amis et de ses défenseurs; un peuple immense, toujours avide des émotions que devait produire la parole d'un Cicéron ou d'un Hortensius, se presse dans le forum autour de l'enceinte respectée des débats judiciaires. Sur un signe du président, l'huissier annonce que la cause va être entendue, et le préteur donne la parole aux orateurs. L'accusateur se lève le premier pour exposer sa plainte, non pas avec cette réserve que la gravité de son ministère impose chez nous à l'organe impartial de la société, mais avec toute la passion permise à celui qui plaidait sa propre cause en même temps que celle du peuple qui l'écoutait. L'accusé répond à l'instant, soit par lui-même, comme dans les premiers temps, soit par son défenseur dont le plaidoyer, grâce à la différence des situations, pouvait développer des ressources interdites à l'éloquence de nos avocats modernes; en effet, placé en face de juges dont la décision est souveraine, et non point devant des magistrats que la conscience doit protéger contre leurs émotions, l'orateur de Rome cherche à les attendrir quand il ne peut les convaincre; il essaie de toucher leur coeur quand il ne peut s'adresser à la stricte raison; ses larmes demandent grâce au peuple qui a le droit de l'accorder, et qui ne la refuse point aux blessures d'un vieux guerrier, au souvenir des services rendus à la patrie, ou aux larmes d'une famille en deuil. Cependant la clepsydre qui, dans l'antiquité, mesurait le temps abandonné aux orateurs, a laissé échapper sa dernière goutte d'eau, et le héraut vient d'annoncer à haute voix la fin des plaidoiries. L'office des patroni n'était point encore terminé; la procédure ancienne n'admettait pas, il est vrai, l'usage des répliques, mais il restait encore une ressource aux orateurs pour faire triompher leur cause et laisser les juges sous une dernière et favorable impression. Un dialogue rapide s'engage entre les parties (altercatio) par l'organe de leurs défenseurs qui, dans cette dernière lutte, s'efforcent de porter à leurs adversaires des coups imprévus, les obligent de répondre immédiatement à des interrogations brèves et précises portant sur les points les plus délicats du procès, et ramènent forcément la partie adverse sur un terrain dont elle s'était peut-être écartée à dessein. Ce n'est qu'après l'exposé de l'accusation et de la défense que les Romains passaient à l'audition des témoins et à l'examen des preuves destinées à établir ou à combattre l'accusation; cet usage difficile à justifier, dura jusqu'à Cicéron qui, dans le procès de Verrès, obtint de produire les témoins dans le cours même de son plaidoyer; un précédent aussi important fut suivi dans la pratique, et Quintilien nous atteste que, de son temps, on en était arrivé à adopter sous ce rapport un ordre plus logique qui est aussi celui que nous suivons. Nous avons déjà fait pressentir quelle devait être, sous le rapport des preuves, la latitude immense ou plutôt absolue, laissée à chacune des parties. Une théorie légale des preuves était impossible devant le tribunal souverain des assemblées populaires, comme devant le Sénat ou le prince; il en était de même au temps des commissions où le peuple était représenté par des jurés dont aucune restriction légale ne venait emprisonner la conviction. Toute preuve était donc admise, et aucune d'elles ne se présentait avec un caractère qui dût s'imposer forcément aux judices jurati.
Le citoyen romain parlait librement devant ses juges: son inviolabilité le protégeait contre tout mauvais traitement, et il ne vint point à l'esprit des Anciens d'imposer à l'accusé un serment qui eût été une torture morale, ni de soumettre un témoin aux tortures physiques de la question; mais, il faut bien le dire, c'était l'orgueil romain, et non des principes de raison ou d'humanité, qui protégeait ici la personne du quelque importance au procès, ces lois si libérales lui infligeaient impitoyablement un supplice que l'inégalité de son application devait rendre plus odieux et plus cruel encore (1).

(1) Il est vrai que lorsqu'un esclave avait souffert les horreurs de la torture dans un débat à la suite duquel son innocence était reconnue, on indemnisait le maître!!

Cette différence entre les citoyens et les esclaves se maintint jusqu'à l'Empire qui fit de la torture un moyen ordinaire d'instruction, pour l'appliquer indistinctement aux esclaves comme aux maîtres, suivant les redoutables caprices d'un juge qui pouvait s'appeler Claude ou Néron.
Quelques lois limitèrent à Rome le nombre des témoins que pouvait produire l'accusateur ou la défense, mais elles ne le restreignirent pas dans une proportion qui pût compromettre l'une ou l'autre des parties; la loi Julia permet d'en entendre jusqu'à cent vingt; ceux qui avaient été cités par l'accusateur étaient forcés de comparaître, s'ils ne voulaient s'exposer à une peine qui était sans doute l'amende ou la saisie des biens; l'accusé n'avait pas le même privilège, du moins au temps de la République, et les témoins qu'il produisait se présentaient volontairement sans qu'il pût les contraindre à venir à l'audience. Chez nous, grâce à l'institution d'un ministère public et au pouvoir qui lui appartient de citer les témoins, la balance est égale entre l'accusation et la défense. Peut-être, n'en faut-il pas dire autant de la loi qui remet au président de nos assises le droit d'interroger l'accusé et les témoins, ou du moins de diriger l'interrogatoire à son gré. Des auteurs dont l'opinion fait autorité en cette matière, pensent que, sous ce rapport, les usages romains étaient supérieurs aux nôtres, et mieux calculés dans l'intérêt de cette égale liberté qui doit appartenir aux deux parties. On ne peut nier que chez nous le sort d'un accusé ne dépende, dans une certaine mesure, du présidentdes assises dont l'influence peut se manifester de plusieurs manières dans le cours d'un procès criminel; c'est à sa conscience, il est vrai, mais aussi à ses lumières et à son savoir que le législateur a abandonné la tâche de diriger les débats, d'y maintenir l'ordre, d'interroger l'accusé, de résumer les arguments présentés de part et d'autre, et de maintenir en un mot l'égalité d'une lutte dans laquelle il lui est facile de favoriser une des parties au grand détriment de l'autre. Ce danger peut naître surtout de l'obligation faite au président d'interroger l'inculpé et les témoins seul et directement, tandis que l'accusé et son défenseur ne peuvent, conformément à l'art. 319 du Code d'Instr. crim., adresser leurs questions aux témoins que par l'organe du président. Or comme le dit le lieutenant criminel Pierre Ayrault, «interroger, c'est plus advocacer que juger, voire plutôt acte de partie que d'advocat. Car, l'interrogatoire, pour être bon, se doit faire captieusement et subtilement, y venir tantôt de droit fil, tantôt en biaisant, maintenant en cholère, maintenant doucement, qui sont toutes actions d'adversaire ou de sophiste, non de juge ou de magistrat. » Il est difficile que les questions faites par l'accusé au témoin conservent leur spontanéité, et par conséquent leur valeur, quand elles ont passé par la bouche du président qui a pu, soit les faire répéter à l'accusé pour les mieux préciser, soit en changer involontairement le sens et la portée en les reproduisant, et, dans tous les cas, leur ôter ce qu'elles ont d'inopiné en donnant au témoin le temps de préparer une réponse qui eût été sans doute différente, s'il n'eût pas puy réfléchir: « un témoin vrai, dit M. Dupin, s'embarrasse rarement; mais un fourbe a besoin d'être pressé; c'est alors seulement qu'il se trouble, se contredit, et laisse sa turpitude à découvert. » Il faut ajouter que cette gêne n'est point imposée au procureur général qui peut interroger directement l'accusé ou les témoins, après en avoir demandé la permission au président. Dire que dans la pratique, un usage général introduit par la bienveillance et la droiture de nos présidents d'assises vient corriger ce que la disposition de la loi a de trop rigoureux, c'est faire ressortir encore l'inégalité des situations et le danger d'une puissance dont un homme passionné ou emporté par le zèle pourrait faire quelque jour un dangereux abus.
A Rome, ce pouvoir périlleux n'était point donné au chef de la commission. Spectateur impassible des débats engagés entre les témoins et les parties, le préteur ne prenait la parole que pour y maintenir l'ordre, mais il en laissait la direction à l'accusateur et aux patrons. C'étaient eux qui interrogeaient successivement et directement l'accusé et les témoins, et qui, par des questions insidieuses, cherchaient à les surprendre, à les faire tomber en contradiction, en un mot, à leur tendre des piéges pour arriver par ce moyen à découvrir leur pensée intime. Ce rôle qui pouvait convenir à l'accusateur romain,,n'est peut-être pas facilement conciliable avec la dignité de nos présidents qui doivent être comme les « parrains des deux parties, » medium inter reum et actorem. Cette attitude leur serait peut-être plus facile si, comme en Angleterre, la loi ne les obligeait qu'à assister à la lutte, sans les forcer d'intervenir dans un débat qui peut mettre leur impartialité à une épreuve parfois bien difficile. Quand les témoins avaient fini leurs dépositions, le tribunal entendait les laudatores dont le nom indique assez la mission au procès; chacun d'eux venait exalter ce que nous appellerions aujourd'hui les antécédents et la moralité de l'accusé d'ordinaire leur client, leur ami, quelquefois l'administrateur de leur province pendant de longues années. Ces témoins complaisants étaient déjà trop faciles à trouver dans toutes sortes de causes, pour qu'un accusé pût se présenter à la justice sans être accompagné d'au moins dix laudatores; mais leurs efforts s'unissaient, en toute liberté, à ceux des avocats et des patrons, pour la défense de leurs clients. Cet usage, un instant aboli par Pompée, se maintint cependant jusqu'à l'Empire, époque à laquelle il changea de caractère, comme tout ce qui tenait à l'administration de la justice.
Mais le moment décisif du vote est arrivé; le héraut du préteur a répondu par le mot Dixerunt au Dixi du dernier orateur. Chacun des juges reçoit une tablette enduite de cire sur laquelle il trace un des trois caractères qui doivent manifester son opinion, en absolvant l'accusé (A), en prononçant sa condamnation (C), ou le renvoi à un plus ample informé (NL, non liquet). La déclaration de culpabilité ne pouvait résulter que de la majorité absolue des votes; un partage égal amenait l'absolution. On procédait, sans doute, à de nouveaux débats quand les voix se partageaient entre l'acquittement, la condamnation et le non liquetl). Enfin, les juges se lèvent; chacun d'eux s'avance le bras nu, couvrant avec la main les caractères inscrits par lui sur la tablette fatale qu'il dépose dans l'urne destinée à recevoir les votes. Un juge désigné par le sort, les en retire l'une après l'autre; il montre au public le caractère inscrit sur chacune d'elles, et fait connaître aussi celles qui n'en portent aucun (sine suffragio), puis il les passe au citoyen qui siège à côté de lui, pour contrôler la déclaration qu'il vient de faire. Le préteur annonce alors le résultat du vote, en prononçant l'absolution (non fecisse videtur), ou la condamnation (fecisse videtur). Quand les juges, profitant d'un privilège qui n'existait pas au temps des comices, avaient déclaré ne pouvoir se décider (NL), le préteur renvoyait l'affaire à une nouvelle session qui pouvait être suivie de plusieurs autres, jusqu'au moment où les judicesjurati se seraient fait une conviction dans la cause. Cependant l'ampliatio, déjà plus rare depuis l'établissement des commissions permanentes, tomba en désuétude, et fut remplacée par la comperendinatio, c'est-à-dire, par une seconde plaidoirie qui avait lieu le surlendemain de la première, de manière à faire corps avec la précédente instance dont l'ampliatio se détachait essentiellement. Le jugement une fois prononcé, le héraut se faisait entendre une dernière fois, en proclamant à haute voix l'llicet qui annonçait la fin de l'audience et congédiait les assistants.
Cette esquisse d'une instance romaine empruntée à une législation trop peu étudiée en France, peut suffire (tout incomplète qu'elle est) à révéler les principes qui présidaient à l'instruction et au jugement, et dont quelques-uns vivent encore dans les lois criminelles des peuples civilisés. Mais cette admirable organisation judiciaire qui avait protégé les libertés des citoyens au temps où Rome méritait d'être libre, .ne survécut pas aux grands hommes dont l'austère dévouement avait retardé la chute de la République. Minée dans quelques-uns de ses principes fondamentaux dont l'application avait été faussée ou perfidement exagérée, elle succomba; mais nous croyons qu'elle périt non par des vices inhérents à son institution, mais par l'effet de cette corruption générale des moeurs si fatale à toutes les institutions qui avaient fait la gloire et la grandeur des Romains. C'est ainsi que le droit d'accusation publique étendu à tous les citoyens exigeait un patriotisme et des vertus que Rome ne connaissait plus quand elle eut ramassé les vices en même temps que les dépouilles du monde entier; c'est ainsi que le principe du jugement par le peuple lui-même ou par des judices selecti ne devait point résister à la cupidité qui envahit les juges et leur fit préférer les richesses à l'antique probité de leurs ancêtres.
Prise dans son ensemble, cette organisation judiciaire, digne de tant d'éloges, était infectée d'un vice qui nous en fait presque oublier les beautés, et qui devait, avant toute autre cause, amener un jour sa ruine; nous voulons parler de l'odieuse inégalité de son application. Loi d'exception faite pour un petit nombre de privilégiés, c'était un majestueux édifice élevé pour les citoyens romains, et dont étaient impitoyablement exclus tous ceux qui ne possédaient point ce titre pompeux. C'est surtout dans les lois criminelles qu'il faut voir combien était immense, épaisse, infranchissable, cette barrière élevée par l'orgueil du civis romanus entre Rome et le reste du genre humain. Aucune partie de la législation ne témoigne d'une manière aussi vive, et il faut le dire, aussi révoltante, de cet égoïsme féroce qui, déguisé sous le nom de raison d'état, sacrifiait impitoyablement tout ce qui n'était pas jugé digne des priviléges de la cité. Chaque ligne de ces lois criminelles révolte le sentiment de l'humanité par les distinctions iniques qu'elles consacrent, soit dans les peines, soit dans les formes d'une procédure si protectrice pour les uns, si impitoyable pour les provinciaux, les esclaves, les gens de basse condition , les humiles. C'est à eux qu'elles réservent les supplices, les chaînes, les horreurs de la torture, à eux qu'elles refusent toutes ces garanties prodiguées avec un respect scrupuleux et un soin si excessif à la personne sacrée du citoyen romain, et les prudents dont l'esprit ingénieux accumule jusqu'aux hypothèses les plus invraisemblables pour expliquer une loi civile, ne se demandent jamais si l'esclave n'aurait pas comme homme quelque droit aux, sollicitudes de leur équité.
Cette perpétuelle application du vae victis dans des matières où elle est par-dessus tout odieuse, le contraste irritant qui règne entre les belles maximes des jurisconsultes sur le juste, et la constante consécration de la plus flagrante injustice, produisent dans l'étude des lois criminelles des Romains, une fatigue et aussi un enseignement qu'on ne rencontre pas au même degré dans d'autres parties de leur droit.
Il fallait plus que la philosophie des grands hommes de la Grèce ou de Rome pour triompher du plus cruel des préjugés; et pour faire reconnaître à l'orgueilleux citoyen un frère et un égal dans l'esclave que ses lois distinguaient à peine de l'animal, et traitaient souvent plus durement encore. Une lumière divine a brillé au sein des ombres épaisses qui voilaient aux yeux de ces sages celui de tous les droits qui nous parait aujourd'hui le plus évident et le plus sacré; mais, hélas !la lutte est longue entre le juste et l'injuste, ou plutôt elle dure toujours, et remplit l'histoire qui n'a de véritable intérêtque lorsqu'elle en retrace les diverses phases Puissent les flots de sang qu'elle fait répandre, aujourd'hui même, assurer le triomphe de l'humanité chez un peuple qui a su imiter Rome dans la pratique de toutes les libertés, en même temps que dans le maintien et la consécration de l'esclavage ! Ainsi, les Romains possédaient, il y a plus de dix-huit siècles, une organisation judiciaire qui, malgré ses défauts, présentait un ensemble digne d'être proposé encore aujourd'hui au respect et à l'imitation des nations modernes. On y rencontrait tous les principes qui actuellement encore inspirent et vivifient la législation des peuples les plus civilisés; le droit d'accusation appartenant à tous les citoyens; la publicité des débats, qui ne fut jamais plus complète dans aucun temps; la procédure orale, inconnue encore à des pays que l'on dit marcher à la tête du progrès; le jugement de l'accusé par des citoyens choisis et agréés par lui; une modération extrême dans les châtiments; l'absence de toute rigueur inutile contre l'inculpé que l'on soumettait à peine à la mesure quelquefois nécessaire, mais toujours cruelle de l'emprisonnement préventif; enfin, un ensemble de libertés largement équilibrées entre la défense et l'accusation. Quelques-uns des principes de cette législation ont survécu à la ruine du peuple qui l'avait fondée; ils ont traversé les âges avec des fortunes diverses, quelquefois complétement méconnus, souvent détournés de leur sens primitif; mais se retrouvant toujours dans les institutions d'un peuple libre, et destinés, il faut le croire, à prendre place un jour dans les codes de quelques nations de l'Europe moins avancées aujourd'hui que ne l'étaient les Romains il y a deux mille ans.
Nous avons dit que les règles qui formaientla base de la législation romaine, avaient été quelquefois complètement méconnues. Quel est le peuple, quel est le temps qui nous fournira sur ce point un contraste complet? Faal-ille demander à l'époque la plus éloignée de notre histoire nationale ? ou aux premiers temps de la féodalité, à ce moyen âge trop attaqué de nos jours, peut-être aussi trop défendu, objet d'admirationet de critiques également injustes et passionnées? Non assurément; car, au milieu des ténèbres d'une civilisation qui se reconstituait après tant de bouleversements, chez ces peuples que nous qualifions peut-être trop facilement de barbares, nous trouverions une législation criminelle qui se rapproche, à beaucoup d'égards, de celle dont nous venons d'esquisser à grands traits les caractères principaux. Nous y trouverions, comme à Rome, l'action publique abandonnée sinon à tous les citoyens, du moins à la partie lésée; nous y verrions, comme à Rome, le jugement par les jurés, non pas seulement dans la cour féodale où, en vertu d'un principe fondamental de droit, l'accusé était jugé par ses pairs (l'homme de poeste par ceux de sa chatellenie, le gentilhomme par des gentilshommes), mais jusque chez les Germains où le mallum était composé de boni homines in mallo residentes, conservant toujours en principe le droit de siéger au mallum, alors même que fatigués, mais non exclus de ces fonctions, ils avaient consenti à se faire remplacer par des scabius permanents. Les mêmes lois admettaient et exigeaient même formellement, une publicité sans réserve pour tous les actes de la procédure criminelle, et repoussaient l'instruction écrite qui répugnait autant à la loyauté de nos aïeux qu'à leurs habitudes peu lettrées. Sans doute, le système des preuves offre une large prise à la critique et révèle l'esprit grossier d'un temps où la force matérielle triomphait trop souvent de la justice, mais du moins dans cet ensemble de pratiques barbares et absurdes qui corrompaient une organisation judiciaire féconde en grands principes, se manifeste la loyauté de nos pères; leur foi naïve et enthousiaste, et une invincible horreur pour les tortueux détours d'une procédure dont ils eussent exécré les cruautés. C'était en plein soleil, en face d'un peuple entier, que s'accomplissaient les actes de la justice, et si le combat judiciaire était un médiocre élément de conviction, du moins la lutte était-elle égale entre l'accusateur et l'accusé, et valait assurément la preuve que des juges d'une autre époque demandaient à la torture, odieuse pratique sur laquelle les lois germaniques gardent le silence le plus absolu. Ces mêmes lois commandaient aussi le respect de l'accusé auquel sa seule faiblesse savait trouver un appui dans ces temps généreux, et bien loin de le priver de défense ou de conseil comme le fit une disposition expresse qui déshonore la législation d'un temps bien postérieur, ces barbares aimaient mieux croire à l'intervention de Dieu lui-même descendant, pour ainsi dire, dans l'arène pour servir d'avocat à l'opprimé et faire triompher son innocence par un miracle au milieu d'une épreuve judiciaire !
Ce ne sont donc pas les lois de cette époque reculée qui nous offriraient le contraste que nous cherchons. Il faut franchir plusieurs siècles, et le demander à un âge à la fois plus brillant et plus rapproché du nôtre. « Quiconque pense, a dit Voltaire, ne compte que quatre siècles dans l'histoire du monde; ces quatre âges sont ceux où les arts ont été perfectionnés. » La France peut, sans doute, revendiquer une large part dans les triomphes de l'esprit humain; aussi est-il deux époques de notre histoire nationale auxquelles nous reportons surtout nos regards avec une légitime complaisance, et dont nous aimons à offrir le spectacle à l'admiration des étrangers. L'une d'elles s'ouvre au xvi° siècle: un roi brillant de jeunesse et d'ardeur réunissait alors le prestige de ses qualités chevaleresques à celui d'un pouvoir absolu que ne connaissaient point ses prédécesseurs; seul il résiste à toute l'Europe liguée contre lui, et poursuit avec constance la gloire des armes pour obtenir surtout celle que donnent les lettres et les arts à ceux qui les aiment et les favorisent. Sa munificence intelligente attire et retient à la cour les savants et les artistes de l'Europe entière, et il donne à son pays le signal de ce grand mouvement intellectuel que les historiens nous présentent comme le réveil de la raison humaine, le triomphe de la pensée sur la force brutale, et le point de départ de la civilisation moderne. Un mot exprime et résume les aspirations et les gloires de cette époque qu'on a appelée la Renaissance.
Il était donné au règne de Louis XIV de porter encore plus haut la grandeur de la France, et d'unir à la gloire des armes celle des lettres, des arts et du commerce. Une pléiade de grands hommes se presse autour d'un trône d'où descendaient toutes les faveurs; leur génie nous a retracé dans d'inimitables chefs-d'oeuvre les merveilles du règne le plus brillant de la monarchie française, aussi la gloire de ces témoins des splendeurs de Louis XIV est-elle inséparable de celle du monarque qui sut si admirablement choisir et récompenser le mérite; leur renommée lui fait, pour ainsi dire, cortége dans la postérité qui les confond dans un même hommage, et a donné le nom du roi au grand siècle qu'ils ont illustré.
L'étranger qui étudie nos annales est frappé de la grandeur du tableau que lui présentent ces deux époques. Il admire cette civilisation qui a produit les plus magnifiques monuments de l'art; ces progrès rapides accomplis dans toutes les voies de la science, et le majestueux ensemble qui résulte de tant de beautés. Il demande alors à connaître les lois pénales sous la protection desquelles se sont opérées ces merveilles; sans doute, elles sont en harmonie avec ces moeurs pleines de douceur et d'élégance; elles répondent par leur humanité, par la modération et la sagesse de leurs dispositions à cette haute culture intellectuelle manifestée par tant de chefs-d'oeuvre exquis; elles sont, dans tous les cas, aussi supérieures aux lois de Rome que la civilisation chrétienne et française du XVIIe siècle l'emporte sur les institutions des Antiens.
On répond à cet investigateur trop intime en lui présentant l'ordonnance donnée, en 1670, par Louis XIV, pour les matières criminelles, ordonnance qui maintenait et confirmait un système de procédure inauguré en 1498 par Louis XII, et développé en 1539 par François l, à Villers-Coterels. Voici le tableau et le contraste que lui offre l'ensemble de cette législation: Les ténèbres de. la procédure inquisitoriale ont remplacé le grand jour de la publicité romaine, et la grossière mais loyale procédure des Germains. La dénonciation a succédé à l'ancienne action populaire; la partie lésée n'accuse plus, elle se plaint, et remet son action entre les mains des juges qui procèdent aux actes de la procédure, et relèvent eux-mêmes les nullités qu'ils y ont commises.
C'est par l'information que se recueillent les charges et les preuves qui doivent les appuyer; cette première phase de l'instruction était secrète comme les autres, et n'admeltait plus même les faibles garanties de l'enquête qui, dans une de ses formes du moins, exigeait la présence de l'accusé, lui permettait de produire ses témoins justificatifs, et d'exercer le droit de récusation. L'information se faisait dans le mystère, par un seul juge, hors de la présence de la partie civile et de la partie publique et sans que l'accusé connût ni son délateur, ni même l'accusation qu'on lui intentait. La procédure orale a disparu depuis longtemps, ainsi que le jugement par les hommes du lieu ou les jurés, et tout se formule par écrit; le cahier d'informations qui contient les déposilions des témoins est mis dans un sac, et c'est ce sac que l'on apporte aux juges au lieu de leur amener les témoins qui parfois ne se présentaient que sous l'influence des moratoires publiés par les autorités ecclésiastiques.
Après l'information venait le décret, véritable jugement préparatoire en vertu duquel l'inculpé pouvait être pris au corps et jeté en prison, sans avoir encore connaissance du crime dont on l'accusait. Il comparaît cependant secrètement et sans assistance, devant un juge, pour subir son interrogatoire; mais ce juge est seul, et rien ne pourra contrôler ses actes. La mission de ce magistrat est de profiter du trouble et de l'angoisse des premières heures de prison, pour arracher à l'accusé un aveu d'autant plus suspect qu'il aura été précédé du serment, c'est-à-dire, d'une torture morale qui plaçait le coupable entre le parjure et le suicide. Epouvanté de l'horreur des crimes dont on l'accuse, et plus encore des circonstances qui semblent rendre sa culpabilité vraisemblable, rempli de trouble à la seule idée des supplices qui l'attendent s'il avoue, et de ceux auxquels il s'expose en niant le fait qu'on lui impute, le malheureux accusé demande à réfléchir aux questions redoutables qu'on lui fait; il supplie qu'on lui laisse le temps de réunir ses esprits, afin de trouver un moment de calme à l'aide duquel il fera tomber des préventions habilement suscitées. On lui déclare avec l'article 8 du titre xiv de l'ordonnance de 1670, que l'accusé doit répondre sans délai. Il implore alors le secours d'un conseil, d'un défenseur dont la science et le dévouement rassureraient son âme ébranlée, le guideraient au milieu des ténèbres d'une procédure où tout est embûches, et le préserveraient des pièges qui lui sont tendus par des accusateurs inconnus, peut-être ses ennemis. On lui montre alors le texte de l'ordonnance qui prescrit à l'accusé de répondre par sa bouche, et sans le ministère du conseil; prohibition odieuse, presque incroyable, oubliée par Tibère lui-même, et qui, depuis l'ordonnance de 1670, s'étendait à tous les actes de la procédure, même après la confrontation, nonobstant tous usages contraires: « A tout le moins, s'écrie Ayrault, en 1588, nous deveroit-il rester, le procès estant instruict, d'ouïr les parties en plaidoirie » Mais cette réclamation ne fut pas entendue, la voix de l'accusé devait être étouffée jusqu'à la fin de cette inique procédure, et le secret maintenu jusqu'à la prononciation du jugement, et même au delà . Lorsqu'après l'examen de la procédure, les juges ordonnaient le règlement à l'extraordinaire, on procédait au récolement et à la confrontation des témoins, mais l'accusé était tenu de proposer ses reproches contre eux au moment même où ils lui étaient présentés et avant la lecture de leur déposition, sans pouvoir obtenir un sursis pour s'enquérir de la vie et de la moralité de ces témoins inconnus, ainsi que des raisons secrètes qui peut-être avaient excité leur vengeance et dicté une déposition mensongère. L'accusé devait de plus nommer les témoins par lesquels il entendait prouver ses reproches ou faits justificatifs à l'instant même où ces faits étaient énoncés, soit par lui, soit par le juge, sous peine de n'être plus reçu à faire cette preuve. En vain il demande ordonnance lui refuse ce droit pour le donner au juge; l'information à décharge est du reste séparée de l'information à charge, et il faut un jugement pour l'autoriser. Il faut aussi un jugement pour permettre à l'accusé de faire valoir ses faits justificatifs, il ne peut les prouver qu'après l'instruction terminée, et toute l'éloquence de d'Aguesseau obtient à grand peine, dans un procès célèbre, qu'un homme que l"on croyait assassiné pût prouver sa vie en se montrant aux magistrats avant la fin de l'instruction.
Cependant les charges qui s'élèvent contre l'accusé ne paraissent pas suffisantes aux juges; leur conviction hésite à se former au milieu du dédale des preuves légales dans lequel les emprisonne la loi; la conscience et la raison des magistrats chancellent devant les artificieuses et innombrables distinctions faites par les jurisconsultes en cette matière; mais le législateur vient à leur secours, sa prévoyance leur a donné un moyen de s'éclairer, et ce moyen c'est la torture. Les juges ordonnent que l'accusé soit mis à la question; c'est dans ses gémissements douloureux, c'est dans ses cris de désespoir qu'ils cherchent la conviction qui les fuit; elle ne sera complète que lorsque les os du malheureux auront craqué sous l'effort des brodequins, ou que l'huile bouillante aura dévoré ses pieds. Si la force morale ou physique du patient résiste aux horreurs de la question préparatoire, s'il ne fait aucun aveu qui vienne ajouter le plus petit indice à cette preuve que les juges considéraient comme insuffisante, il échappe à la mort mais, par une logique bien digne des lois pénales de ce temps, il peut être condamné à toute autre peine, même à celle des galères à perpétuité.
On pourrait croire que le législateur des ordonnances qui avait si étroitement emprisonné les magistrats dans le cercle de fer des preuves légales, s'était montré plus sévère encore contre l'arbitraire dans les peines, et avait tracé, en cette terrible matière, des limites infranchissables. Il n'en est rien; la pénalité de cette époque présente l'affligeant tableau des supplices les plus atroces appliqués avec une révoltante inégalité par des juges dont aucune loi précise ne contenait le libre arbitre. La potence, la roue, le feu, l'écartellement, l'amputation du poing, toutes ces barbaries ne peuvent satisfaire la soif de sang qui semble les pénétrer; il leur appartient de géminer les peines et de les combiner entre elles par le plus monstrueux des raffinements, et lorsque les juges veulent abréger les tortures d'un malheureux condamné, ils le font par un article secret de leur sentence, un relentmn, comme s'ils n'osaient ni céder à un sentiment d'humanité, ni enlever au peuple une partie du hideux et immoral spectacle que leur jugement lui promettait. La condamnation à une mort lente et exaspérée n'épuisait pas l'omnipotence des juges; non seulement ils poursuivaient le coupable la loi à la main jusque dans ses enfants et sa famille en confisquant ses biens dans une mesure que la cupidité romaine ne connut même pas (1),

(1) Quand le condamné avait des enfants, on leur laissait, à Rome, la moitié du patrimoine paternel. Justinien n'appliquait pas la confiscation lorsqu'il existait des descendants ou ascendants.

mais ils avaient le droit de faire subir à un condamné à mort les tortures de la question préalable, et telle est l'effrayante facilité avec laquelle on s'habitue aux excès les plus révoltants, au point même de les trouver nécessaires, que lorsque Louis XVI abolit la question préparatoire, il laisse subsister la torture définitive et n'ose la retrancher de nos lois que huit ans plus tard, mais, provisoirement, et avec cette réserve craintive qu'on apporte dans les innovations les plus audacieuses. Ainsi, au XVIIIe siècle, au centre de la civilisation, plus de deux mille trois cents ans après le jour où Rome avait établi les quaestiontes perpetuae, la France subissait une législation pénale qui supprimait le débat oral, l'audience publique, les anciennes formes protectrices de la poursuite; qui privait l'accusé de conseil et de défense, qui l'obligeait au serment et lui enlevait, en un mot, toutes les garanties qu'elle donnait à l'accusateur ; une législation qui admettait le secret, les preuves légales, la torture sous les formes les plus odieuses, et abandonnait au bon plaisir du juge tous les supplices inégaux et atroces qui peuvent corrompre la multitude sansapaiser sa cruauté. Si nous avons jeté ce rapide coup d'oeil sur les ordonnances criminelles des derniers siècles ce n'est point pour nous donner le facile avantage de faire le procès d'une législation dont un de nos éminents criminalistes a pu dire qu'elle était le plus complet oubli des premières notions d'humanité et de justice, nous avons voulu l'opposer aux lois romaines si libéralës, si pleines de protection pour l'accusé, et tirer, s'il était possible, quelqu'enseignement d'un pareil contraste.
N'est-ce pas le devoir du jurisconsulte et du publiciste de parcourir incessammentla voie dans laquelle s'avance l'humanité depuis le commencement des âges, pour mesurer les phases diverses de sa marche, éclairer l'avenir par les enseignements du passé, signaler les obstacles qui ont retardé quelquefois pendant des siècles chez un peuple un progrès facilement accompli par une nation voisine? Ainsi faisait le sage et bon Ayrault quand, en 1589, il offrait au législateur des ordonnances le tableau des lois romaines pour l'opposer à celles qui régissaient et désolaient la France. Sans doute, son excellent livre n'eut pas alors tout le succès qu'il méritait puisque l'ordonnance de 1670 a imité et accru la rigueur de celles de François Ier, mais la grave parole du vieux jurisconsulte a peut-être inspiré les énergiques protestations des Harlay et des Lamoignon, et préparé les améliorations par lesquelles la jurisprudence a adouci la sévérité des lois pénales de cette époque.
Notre temps n'a pas, grâce à Dieu, un enseignement aussi direct et aussi complet à demander aux Romains; nos lois criminelles ont changé de face en 1789, elles ont été alors l'objet, non pas d'une amélioration partielle, mais d'une reforme absolue, et cependant telle est la lenteur désolante des progrès en cette matière, qu'en 1818, un magistrat pouvait dire, dans un livre célèbre, en parlant des codes criminels de son temps: « Nos lois pénales sont à mille siècles de l'époque où nous vivons. » Ce jugement déjà trop sévère à notre avis, pour le temps où il était porté, ne saurait, sans une évidente injustice, être appliqué à nos lois actuelles après les révisions qui ont été faites en 1825, 1832, et depuis 1850; mais peut-on affirmer d'une manière absolue, sans tomber dans une exagération également dangereuse, qu'elles aient atteint un point de perfection qui rende inutile toute tentative de réforme? N'y a-t-il pas dans nos lois pénales ou dans notre procédure criminelle, quelque point susceptible d'un changement désirable? L'accusation et la défense jouissent-elles de cette exacte mesure de liberté qui concilie d'une manière satisfaisante les droits de la société avecles justes égards dus à un accusé peut-être innocent? N'ya-t-il aucun effort à tenter pour diminuer et adoucir certains maux nécessaires, tels que la prison préventive et les aggravations dont elle peut être accompagnée? Est-il impossible d'y substituer, en certain cas, quelque mesure moins rigoureuse, ou au moins de hâter le moment du jugement, en accélérant la procédure? La loi qui règle la mise en liberté sous caution est-elle à l'abri de tout reproche? Ce sont là des questions graves sur lesquelles nous ne sommes point appelé à nous prononcer, et que nous ne pouvons examiner ici; diverses causes viennent d'ailleurs de les recommander d'une manière pressante à l'attention de tous, et des efforts heureux devançant une mesure générale qu'on nous fait espérer, ont déjà amené les résultats les plus importants dans un sujet où le plus petit changement peut être un bienfait ou un malheur pour l'humanité. Des problèmes de cette importance ne reçoivent point leur solution sans une étude profonde de toutes les législations qui ont cherché à les résoudre, et s'il répugne à notre amour-propre national, plutôt qu'à un patriotisme bien éclairé, de demander à nos voisins quelqu'une de ces choses utiles que leur législation pourrait peut-être nous apprendre, jetons du moins, une fois de plus, un regard sur ces lois romaines auxquelles nous avons demandé tant d'utiles leçons; leurs dispositions, en cette matière, peuvent offrir à notre société moderne sinon un modèle à suivre, du moins un sujet sérieux de méditations. Nous ne saurions, pour faire cette étude, nous adresser à un meilleur guide que M. Walter; grâce à lui, nous pourrons pénétrer, pour ainsi dire, dans l'intimité des lois et par conséquent des moeurs romaines. La partie du livre consacrée au Droit criminel est divisée en huit chapitres dans lesquels l'auteur étudie successivement les délits, les peines et la procédure criminelle des différents âges de Rome, depuis le moment où l'histoire se confond presque avec la légende, jusqu'à celui où la remarquable organisation judiciaire dont l'auteur nous offre le tableau, se dénature et se perd en même temps que le peuple dont elle avait fait la force et la grandeur. Ce qu'il faut louer dans l'oeuvre de M. Walter, c'est l'alliance d'une immense érudition avec cette sobriété, signe de force et de goût, qui n'appartient qu'aux écrivains assez savants pour être courts, et assez maîtres de leur sujet pour abandonner à la sagacité du lecteur les conséquences de principes savamment posés. Ce qu'il faut admirer encore, dans notre auteur, c'est une parfaite clarté qui, en dépit de préjugés trop longtemps répandus contre les écrivains d'outre-Rhin, nous parait le caractère le plus frappant de ce livre comme de plusieurs autres productions récentes également dues aux jurisconsultes de l'Allemagne. Le temps est passé où l'on nous représentait l'érudition de cette nation, tantôt comme hérissée d'un amas barbare de citations indigestes et d'obscurité ssavamment accumulées, tantôt comme enveloppée de brumes impénétrables qui glacent et voilent les régions du Nord. Grâce à quelques habiles traducteurs, plusieurs ouvrages devenus populaires en France nous ont permis de faire justice de ces faciles plaisanteries aujourd'hui surannées, et sans parler d'autres oeuvres qui se trouvent dans toutes les mains, ne devons-nous pas à un allemand l'un des traités les plus clairs et peut-être des meilleurs sous tous les rapports, qui aient été faits sur notre propre Code civil?
Il ne tiendra pas à nous que M. Walter ne dissipe encore un reste de préventions. Personne ne présente la science sous un aspect plus favorable, et quand on lit son histoire du Droit romain comme elle doit être lue, c'est-à-dire, les textes à la main, on est constamment frappé de l'immense érudition et des vastes recherches qui se cachent sous une forme simple et concise, et dans un style dont nous ne saurions rendre la parfaite élégance.
Après l'éloge que nous venons de faire de notre modèle, nous aurions mauvaise grâce à nous accuser de lui avoir fait subir le moindre changement; notre constante préoccupation a été, au contraire, d'en retracer les détails avec la plus fidèle exactitude, d'en respecter la forme comme le fond, de sacrifier toujours l'élégance de la phrase à la clarté du sens, désireux, avant tout, de rendre la pensée de l'auteur sans y mêler ces impressions personnelles qui méritent à tant d'écrivains mal avisés les sévérités du proverbe italien: « traduttore, traditore.» Ce n'est qu'au prix de cette abnégation qu'un traducteur peut atteindre le but qu'il doit se proposer et qui est, non point de créer des matériaux, mais de les transporter, en établissant, pour ainsi parler, des voies de communication entre les grands architectes de la science de tous les pays. Un jour, un homme de génie rassemble ces documents épars autour de lui; son esprit généralisateur leur assigne une place dans une de ces oeuvres capitales qui illustrent un nom et une nation tout entière; le traducteur, assez heureux pour avoir pu seconder les inspirations du génie, recueille alors un fruit inattendu de son travail; ouvrier modeste, il n'a apporté qu'une seule pierre à la construction de l'édiofie mais il peut la reconnaitre dans une des assises d'un glorieux monument élevé à la science.

Des Délits et des Peines

Chapitre I

Notions générales

Dans les premiers temps de Rome, alors que la Religion se liait d'une manière intime à la Constitution, le droit pénal était également pénétré de son esprit. Fermement convaincus que les actes coupables attiraient la malédiction et les châtiments du ciel sur le malfaiteur, ses biens, sa race et le peuple tout entier, les anciens Romains demandaient au nom de l'intérêt public que les grands crimes fussent l'objet d'une expiation religieuse, ou de quelque autre châtiment extraordinaire. Les lois se fondaient sur cette croyance dans l'application même de la peine de mort; elles consacraient aux Dieux la tête du coupable aussi les magistrats faisaient-ils suspendre le criminel à l'arbre consacré aux Divinités infernales, ou permettaient à chacun de le mettre à mort; quant à ses biens, ils étaient employés à des sacrifices, ou à des prières publiques (supplicationes). Les fragments qui nous restent de la loi des Douze Tables jettent un peu plus de lumière sur ce sujet.
L'étroite alliance du droit pénal avec le droit sacré y paraît visiblement amoindrie; les méfaits les plus graves y sont décrits avec les peines qui les frappent; déjà même l'on peut apercevoir entre les délits une double distinction. Quelques uns étaient menacés de peines publiques, la peine de mort n'en atteignait que le plus petit nombre ; pour d'autres, le châtiment consistait en une amende au profit de la partie lésée, ou tendait seulement à satisfaire la victime en lui permettant d'exercer des représailles s'il n'intervenait point de composition amiable entre les parties. De là naquit avec le développement du droit la distinction des délits en délits privés, et délits publics Les premiers servaient de fondement à une instance devant les tribunaux civils ordinaires pour la poursuite d'une obligation; les délits publics donnaient naissance à une plainte devant l'assemblée du peuple; les premiers étaient comme d'autres parties du droit privé, l'objet des prescriptions de l'édit des préteurs; les derniers n'émanaient que de la loi elle-même. Vers la fin de la République, lorsque la décadence des moeurs et la chute des anciennes institutions eurent nécessité d'énergiques réformes dans le droit pénal, ces délits publics devinrent l'objet de l'attention spéciale des autorités qui gouvernaient l'Etat. Il parut concernant les crimes les plus graves de différentes espèces, des lois fort détaillées qui organisaient pour chaque crime un tribunal spécial permanent, et indiquaient d'une manière explicite la procédure à suivre dans sa poursuite, et la mesure de la peine à appliquer pour sa répression. Telles furent notamment les lois Cornéliennes de Sylla, celles de Pompée, les lois Julia de César et d'Octave. Les instances organisées par des lois semblables devant les commissions permanentes (quaestiones perpetuae) furent dès lors considérées comme la règle; dans les autres cas, qui formèrent l'exception, la procédure pénale était extraordinaire (extra ordinem quaerere) et la justice était rendue par le peuple lui-même, ou par une commission instituée pour chaque procès.
Sous l'Empire, il est vrai, apparurent d'autres juridictions avec une procédure nouvelle pour remplacer les anciens tribunaux; cependant les lois antérieures servirent toujours de règle sous le rapport des incriminations comme pour les pénalités, et l'on ne donna le nom de judicia publica qu'aux actions pénales qui se basaient sur elles; sans doute un grand nombre d'actions non prévues par ces lois furent considérées comme délits par les rescrits impériaux, ou la jurisprudence, et punies comme donnant lieu à des actions pénales, seulement, les méfaits de cette espèce furent appelés (pour les distinguer des autres) extraordinaria crimina ou aussi privata crimina. Le juge avait généralement une grande liberté dans leur répression, et pouvait aller jusqu'à la peine de mort; dès lors, même quand il s'agissait de délits ordinaires, le libre arbitre du juge put se mouvoir avec une grande latitude pour déterminer la mesure de la peine. Avec le temps, plusieurs délits privés furent punis de peines publiques déterminées soit par les lois, soit extra ordinern. Le plaignant avait alors l'option entre l'action privée et une accusation publique; mais quand il avait choisi l'une des deux voies, et que la peine avait été prononcée, il ne pouvait plus revenir à l'autre; de même, il était de règle qu'une peine extraordinaire ne pouvait point se cumuler avec celle qui résultait d'une action privée. Une instance purement civile pouvait cependant s'intenter parallèlement à l'action criminelle; au contraire, la poursuite d'une peine au point de vue du délit privé, n'était pas autorisée lorsque le fait rentrait par sa nature sous l'incrimination plus spéciale d'un délit public déterminé.

Chapitre deuxième.

Des Délits privés.

A l'époque où la jurisprudence Romaine était florissante, on rangeait parmi les délits privés le vol (furtum), la rapine (rapina), l'injure (injuria), et le dommage causé injustement (damnum injuriadalum). Cette énumération n'est cependant pas complète 1); beaucoup de faits appartenant à ce genre de délits étaient frappés de peines publiques; nous devons les mentionner ici, à cause de leur liaison avec les délits privés.
Le furtum ne pouvait avoir pour objet qu'une chose mobilière 2) ou une personne placée sous la puissance d'autrui 3). L'opinion de Sabinus qui prétendait que les immeubles étaient aussi susceptibles d'être volés ne fut point admise 4). Le vol fut considéré dans les temps les plus reculés comme un fait particulièrement déshonorant. D'après la loi des Douze Tables, le voleur était battu de verges, et s'il était libre, il était attribué à celui qu'il avait volé (addictus) pour devenir son esclave selon les uns, ou, d'après une autre opinion, pour subir le sort d'un adjudicatus 5). Ce délit était donc autrefois capital, et chaque vol comportait incontestablement une poursuite publique. Mais précisément à cause de la rigueur d'une peine dont la sévérité disproportionnée était calculée pour produire une grande intimidation, on exigeait que la preuve du délit fût indubitable, et le voleur pris sur le fait. En l'absence de cette condition, la loi des Douze Tables n'imposait pas d'autre peine que le payement du double de la valeur de l'objet volé pour compenser le dommage causé 6). Les préteurs partirent de là suivant leur coutume pour adoucir la législation. On établit une distinction entre le furtum manifestum, et le furtum non manifestum. Le premier a lieu quand le voleur est pris sur le fait, ou dans le lieu même où se commet le vol, ou encore en possession de la chose volée avant qu'il l'ait mise en lieu de sûreté; dans ce cas, l'édit remplaça la peine capitale par une adjudication pécuniaire du quadruple de la valeur de l'objet volé; pour le vol non manifeste, la peine consista comme par le passé dans le payement du double 8). On pouvait en outre agir contre le voleur par la condictio furtiva pour obtenir la restitution de la chose ou une somme équivalente 9), ou aussi par l'action en revendication dans la plupart des cas 10); déjà d'après les Douze Tables et la loi Atinia, l'usucapion ne protégeait pas l'acquéreur de bonne foi contre la revendication. Quand la peine pécuniaire et l'indemnité représentant la valeur de l'objet volé ne pouvaient être payées (et cela devait arriver fréquemment), le voleur pouvait toujours être adjugé au volé pour le servir jusqu'au payement intégral de sa dette. Chose remarquable, la loi des Douze Tables autorisait déjà en cas de vol, une sorte de composition entre les parties, cela s'appelait pro fure damnum decidere, et au moyen de cette transaction, l'action était éteinte, non point par exception seulement, mais ipso jure. Il arriva dès lors que, toutes les fois que le voleur pouvait payer, les peines rigoureuses du vol manifeste étaient écartées par la loi elle-même.
Sous le régime de l'édit, il fut établi que la demande d'une indemnité pécuniaire considérée comme action civile devrait précéder Faction prétorienne pour le quadruple ou le double. Quant à la condictio furtica, elle n'était point éteinte par la composition). Conformément à la loi des Douze Tables, on permettait à la victime du vol une perquisition contre celui qu'elle désignait comme l'auteur du fait. Quand celui qui se prétendait volé entreprenait cette recherche, tout nu, couvert seulement d'une ceinture et portant un bassin en main, (furturn per licium et lancem coneeptum), et qu'il parvenait à trouver l'objet soustrait, le vol découvert par ce moyen était puni comme un vol manifeste, tant parce que la culpabilité du voleur était évidente, que parce qu'il avait laissé les choses en venir à ce point. La loi des Douze Tables ainsi que l'édit, donnaient l'action furti concepti au triple contre celui chez lequel on avait cherché et découvert l'objet volé, devant témoins en suivant les formes ordinaires, quand même il n'était pas l'auteur du vol; toutefois, l'innocent chez lequel on avait méchamment caché un objet volé pouvait diriger contre l'auteur de ce méfait l'action furti oblati élevée au triple. La loi des Douze Tables n'avait pas prévu le cas où quelqu'un se refuserait à laisser faire la perquisition chez lui, mais l'édit accordait alors l'action furti prohibiti élevée au quadruple. Le préteur donnait également une action furti non exhibiti contre celui qui refusait la restitution de la chose trouvée. Plus tard, les actions relatives au furtum conceptum, oblatum, prohibitum et non exhibitum tombèrent en
désuétude, et celui qui avait récélé sciemment fut traité comme l'auteur d'un vol non manifeste. Au reste, le droit domestique autorisé par la loi des Douze Tables, permettait de mettre à mort le voleur pris sur le fait; le voleur de nuit pouvait être tué dans tous les cas, et le voleur de jour quand il se défendait avec une arme. Plus tard, la loi se montra moins rigoureuse dans les deux hypothèses, et le droit de faire périr le voleur fut réduit au cas de nécessité absolue. Indépendamment de ces peines, il existait diverses espèces de prescriptions pénales relatives à des cas particuliers de vol. C'est ainsi que celui qui avait sciemment employé les matériaux d'autrui à l'édification de sa maison ou de sa vigne, pouvait être poursuivi pour le double suivant une prescription émanant déjà des Douze Tables. La même législation punissait de la strangulation le fait de faucher pendant la nuit le champ de blé d'autrui, ou de mener frauduleusement des bestiaux paître dans sa prairie. Des peines extraordinaires frappaient l'abigeat ou le vol des bestiaux qui étaient du reste en Italie l'objet d'un ensemble spécial de dispositions protectrices. Les lois punissaient de la même manière les auteurs de vols commis dans les bains publics ; les Directarii, c'est-à-dire ceux qui pénétraient dans les demeures avec l'intention d'y voler; ceux qui s'étaient rendus coupables de pillages, et de soustractions commises avec effraction. L'expilatio hereditatis était également punie depuis une oratio de Marc Aurèle ; il en était de même des vols commis dans les monnaies impériales, et de ceux qui avaient été exécutés pendant la nuit par des malfaiteurs faisant usage de leurs armes pour se défendre). Le vol fut en dernier lieu, la plupart du temps, l'objet d'une procédure criminelle extraordinaire. Justinien défendit de punir en aucun cas les voleurs en les privant de la vie ou de leurs membres; chose digne de remarque, aucune loi ne donnait d'action pour la poursuite des vols domestiques de peu d'importance commis par les esclaves, les affranchis ou les journaliers. Le préteur M. Lucullus fut le premier qui rendit un édit contre la rapine. Ce magistrat voulant faire cesser des désordres survenus à l'occasion de troubles populaires, menaça de la peine du quadruple les auteurs de dommages causés avec violence par des rassemblements armés. Plus tard, les dispositions et la portée de l'édit furent appliquées à tous les genres de dommages, fussent-ils causés par un seul malfaiteur lorsqu'il employait la violence pour l'exécution de ses mauvais desseins; elles le furent même aux préjudices résultant de rassemblements non armés opérant sans violence; enfin elles atteignirent toute espèce de rapines, même celles qui étaient commises par des gens isolés. La peine du quadruple fut maintenue; toutefois l'opinion prévalut d'y comprendre l'estimation de la chose ravie. On pouvait au lieu de l'action résultant de l'édit, employer également l'actio furti, l'action de la loi Aquilia , une condictio ou vindicatio, l'usucapion était du reste interdite par les lois Julia et Plautia pour les choses ravies comme pour les objets volés. Les rapines et dommages causés pendant un incendie ou autre désastre semblable furent punis d'abord d'une amende du quadruple par le préteur, et plus tard d'une peine criminelle extraordinaire.
Quant aux injures, les Romains avaient compris de tout temps que l'ordre social ne pouvait subsister sans le respect mutuel des citoyens pour leurs personnes et leur considération. Aussi, regardaient-ils comme une injure punissable toute action de nature à entacher l'honneur. Leur droit positif n'alteignit cependant que peu à peu, et grâce à la pratique, une certaine perfection sur ce point. Il faut en cette matière faire ressortir trois points de vue principaux. En premier lieu, le mépris que l'on professe pour une personne se manifeste de la manière la plus directe et la plus vive par de mauvais traitements corporels. Les Douze Tables avaient déjà prévu ce cas. Les mauvais traitements qui avaient été jusqu'à la mutilation d'un membre étaient punis (quand les parties ne composaient point) de la peine du talion, c'est-à-dire de la fracture des membres, d'une amende de 300 as pour les hommes libres et de 150 pour les esclayes; toutes les autres injures (ce qu'il ne faut certainement entendre que des mauvais traitements) étaient punies d'une amende de 25 as. Les changements qu'éprouvèrent les moeurs et la valeur de l'argent rendirent ces dispositions insuffisantes. Alors, par une clause spéciale relative à l'action d'injures, l'édit ordonna qu'en pareil cas la fixation du dommage éprouvé fût arbitrée par le plaignant, le préteur devant estimer lui-même le tort causé par une injure atroce. Dans cette dernière catégorie furent rangées, comme sous la loi des Douze Tables, les fractures de membres, et les mauvais traitements d'une certaine gravité. La considération d'un citoyen (existimatio) peut en second lieu être lésée par l'expression publique d'une opinion méprisante à son égard. Les Douze Tables n'avaient prévu à ce qu'il paraît que le cas le plus grave, occentare et carmen condere, et condamnaient alors le coupable à périr sous le bâton. A ce point de vue, l'édit punissait non-seulement le convicium, c'est-à-dire les outrages publiquement dirigés contre une personne, mais aussi les individus qui poursuivaient de leurs provocations une femme de moeurs honorables, ou qui séparaient d'elle les personnes qui raccompagnaien.
On considère en troisième lieu comme une offense à l'honneuret à la considération, non-seulement l'expression publique du peu d'estime que l'on éprouve pour une personne, mais même les efforts que l'on fait pour communiquer ce mépris à d'autres. Peut-être est-ce à ce cas que s'applique l'occentare des Douze Tables dont nous avons déjà parlé. L'édit contenait sur ce point une disposition qui réservait au préteur le droit de punir, d'après l'estimation qu'il en ferait lui-même, tous les actes qui tendaient à porter atteinte à la considération de quelqu'un. Mais il en résulta une remarquable extension donnée au sens des mots injuria quae re fit. On fut amené en effet par les progrès de la jurisprudence à mettre au nombre des injures, et par conséquent à soumettre à une action privée, non-seulement ces offenses directes par lesquelles on porte atteinte à l'honneur et à la considération d'un citoyen irréprochable, mais en général toute action qui se présente à l'esprit avec le caractère d'une lésion volontaire des droits et de la personnalité d'un citoyen, quand cette action n'était pas dans la catégorie des délits qualifiés. En attendant, la licence toujours croissante des moeurs rendit nécessaires des prescriptions encore bien plus sévères pour certaines espèces d'injures. Une loi Cornelia, non pas celle de sicariis, mais une loi spéciale de injuriis accorda même dans les trois cas de bourrades de coups et de violation du domicile d'autrui, une action criminelle dont l'exercice n'appartenait du reste point à tout le monde, mais seulement à la partie offensée. On punit en outre spécialement le fait de composer ou de publier un écrit tendant à porter atteinte à l'honneur de quelqu'un. Un sénatusconsulte menace également d'une peine criminelle l'auteur, le vendeur, ou le distributeur de poésies, épigrammes, ou images diffamatoires. Des constitutions impériales des derniers temps prononcent même la peine de mort contre les auteurs de libelles contenant la dénonciation anonyme d'un crime imaginaire. Dans un grand nombre de cas, s'introduisirent des pénalités prononcées extra ordinem mais aussi, l'application des incriminations établies par l'édit du préteur, la loi Cornelia et le sénatus-consulte, devint plus arbitraire. On avait alors toujours le choix entre une action civile et une accusation pénale, et dans ce second cas, le juge infligeait au coupable une peine extraordinaire dont il déterminait la mesure. L'action d'injures entraînait l'infamie pour le condamné, même au civil, mais aussi, l'on punissait sévèrement celui qui intentait une pareille accusation par pur esprit de vexation.
Le dommage causé injustement avait déjà été puni par la loi des Douze Tables, et d'autres dispositions légales qui toutes ont été abrogées par la loi Aquilia. Cette loi contenait trois chefs; le second renferme une disposition dont l'explication ne rentre pas dans notre sujet. Le premier prononçait contre celui qui avait à dessein ou par sa faute causé la mort d'un esclave ou d'un quadrupède servant à l'agriculture, une réparation consistant dans le payement de la plus haute valeur que la chose avait atteinte dans l'année du dommage. Le troisième chef de la loi Aquilia comprend tous les autres cas de dommage causé injustement, et fixe comme mesure de la réparation le prix de la chose pendant les trente derniers jours avant le préjudice, ce qui s'entendait naturellement du plus haut prix qu'elle avait atteint.
La loi ne s'appliquait cependant proprement qu'au dommage causé par un corps à un autre (corpore corpori). Quand cette première condition ne se rencontrait pas dans l'espèce, le plaignant n'obtenait qu'une utilis Aquiliae actio in factum, et une simple actio in factum dans le cas où la seconde manquait également. Cette loi permettait au reste d'appliquer au défendeur le double de la peine en cas de négation du fait par son auteur.
Il existait en outre des dispositions particulières relatives à divers genres de dommages. La loi des Douze Tables punissait d'une amende de 25 as par pied celui qui avait abattu furtivement les arbres d'un autre; le préteur prononçait dans ce cas une réparation qui s'élevait au double du dommage causé. Ce délit pouvait même dans certaines circonstances entraîner une peine criminelle. Un dommage avait-il été causé méchamment au milieu d'une foule tumultueuse, l'édit prononçait la peine du double contre l'auteur du délit,qui pouvait même être frappé d'une peine extraordinaire s'il y avait eu par son fait des personnes lésées dans leur corps. La loi des Douze Tables, et une certaine loi Pesulania punissaient déjà le dommage causé par un animal dont le propriétaire pour peu qu'il eût eu une faute, même éloignée à se reprocher était tenu à réparation, s'il ne préférait abandonner l'animal au plaignant à titre d'indemnité.
Les Douze Tables donnaient de plus une action contre celui dont le bétail était allé paître sur le champ d'autrui). L'édit des édiles prononçait des peines plus sévères contre celui qui avait tenu près d'un chemin public un animal dangereux, et occasionné ainsi un préjudice quelconque. L'édit contient des prescriptions pareilles à rencontre de l'habitant d'une maison des fenêtres de laquelle on aurait versé ou jeté quelque substance ayant causé un dommage à quelqu'un. Enfin, quand un fils de famille ou un esclave avait causé un préjudice par un délit ou autrement, le père ou le maître étaient tenus, soit de supporter les conséquences de l'action, soit de livrer l'auteur du fait au plaignant. C'est ce qu'avaient déjà prescrit en partie la loi des Douze Tables, puis la loi Aquilia et aussi l'édit. Quand plusieurs esclaves avaient conjointement pris part à un vol, le maître, d'après une disposition expresse de l'édit, n'était obligé de débourser que la somme qu'il eût payée si le délit avait été commis par un seul homme libre. Il faut encore mettre au nombre des délits privés les faits suivants: Les jeux de pur hasard étaient défendus par une loi qui même était sanctionnée par la peine du quadruple. Le préteur chercha également à les frapper d'une manière indirecte, mais les paris aux jeux gymnastiques étaient autorisés par une loi Titia, Publicia et Comelia, et par un sénatus-consulte dont le nom n'est pas connu. C'est sur cette distinction même que reposait la Constitution de Justinien; seulement, il n'y est question que de la répétition de ce qui a été perdu, et non de la peine du quadruple. L'édit protégeait les citoyens contre les exactions et les violences des publicains par une action pour le double, à laquelle pouvait encore s'ajouter une peine extraordinaire. Le préteur donnait en outre une action pour le quadruple contre celui qui avait reçu de l'argent pour intenter un procès à quelqu'un ou pour abandonner une instance; ces faits furent plus tard frappés d'une peine extraordinaire.Enfin, un édit de Marc-Aurèle punissait, en le privant du droit qu'il réclamait, celui qui voulait se faire violemment justice par lui-même; quand il n'était pas propriétaire de la chose qu'il prétendait se faire attribuer, il était condamné à la restituer et à en payer la valeur.
On peut en quelque sorte placer dans une catégorie intermédiaire, entre les délits privés et les délits publics, les cas d'actions populaires. Ces actions se rapportaient à la poursuite de certaines contraventions de police. L'autorité n'intervenant point directement dans la poursuite des infractions de cette espèce, on comptait sur l'activité des citoyens pour sauvegarder l'intérêt commun, et il était dès lors permis à tout le monde d'intenter l'action. A ce point de vue, il y avait de l'analogie entre ces contraventions et les délits publics. Mais pour que les citoyens eussent un intérêt positif à se produire dans un débat pour l'avantage de tous, on assurait au plaignant l'adjudication pécuniaire qui pouvait être prononcée en réparation du délit. Sous ce rapport, ce genre de méfaits ressemblait aux délits privés: ils étaient poursuivis comme ces derniers devant les tribunaux civils, et l'action pouvait également s'exercer contre les héritiers lorsque la litis contestatio avait déjà eu lieu . Quand une action populaire était intentée à la fois par plusieurs personnes, la préférence était donnée à celui des plaignants qui avait le plus d'intérêt à la demande, et cette question était tranchée par le préteur. En règle générale, on ne pouvait pas intenter une action de cette nature par procureur puisque l'on était soi-même considéré dans cette circonstance comme représentant le peuple dans la poursuite de l'instance.
Quant aux cas particuliers d'actions populaires, elles avaient lieu contre celui qui avait altéré (corruptum) un édit du préteur rendu public ; contre celui qui en jetant un objet du haut d'une maison,, avait causé la mort d'un homme libre;contre ceux qui.avaient placé ou suspendu en saillie devant leur habitation des objets dont la chute pouvait occasionner un dommage; contre ceux qui avaient planté ou bâti dans l'espace réservé devant les aqueducs. La détérioration ou l'obstruction des chemins ou places publics étaient également punies par ces actions; elles atteignaient encore ceux qui avaient labouré ou altéré les cardines ou decurnani placés sur les routes, ceux qui se rendaient coupables de quelque entreprise sur les cours d'eau le long des chemins publics; qui comblaient les fossés pratiqués pour l'écoulement des eaux; ceux qui violaient les sépultures, délit qui fut puni plus tard d'une peine extraordinaire. Il faut rapporter au même cas le déplacement frauduleux des limites, qui étaient consacrées par des cérémonies religieuses;une loi de Numa vouait auxDieux la tête de celui qui s'était rendu coupable d'un semblable attentat. Une loi agraire de Caius César, la même qui dans le recueil des agrimensores est relatée sous la rubrique de la loi Mamilia, et dont l'auteur est vraisemblablement Caligula, accordait dans ce cas une action populaire. Mais depuis Adrien, le même délit fut puni d'une peine extraordinaire.

Chapitre troisième.

Des Délits publics.

A la classe des délits publics appartenaient avant tout ceux contre l'Etat. Dans les temps les plus reculés, alors que le droit pénal fonctionnait sans lois précises, par la seule force de la coutume ou de l'instinct naturel, les Romains prirent soin d'établir une règle d'après laquelle ils pouvaient déclarer coupable de perduellio, l'auteur de tout méfait dont la gravité paraissait appeler la vengeance publique; le coupable considéré comme perturbateur de la paix générale était alors battu de verges et suspendu arbori infelici. On pouvait de cette manière poursuivre suivant les circonstances, un meurtre éclatant (1) la perte d'une armée, la tentative d'usurpation du pouvoir, et l'atteinte portée au respect des tribuns du peuple.

(1) C'est ainsi que fut poursuivi l'assassinat de la soeur d'Horace. Tite- Live 1. 26. Les expressions employées ici démontrent que l'expression perduellio ne désignait pas primitivement un crime contre l'Etat, ni aucune espèce particulière de délits; mais judicare perduellionem alicui, se disait de celui qu'on accusait d'avoir commis une action par laquelle il avait troublé la paix et mérité la mort. C'est faire violence au sens des choses que de s'efforcer de ranger le crime d'Horace parmi les délits publics. Ainsi, Rubino et Kôstlin considèrent l'action du vainqueur d'Albe comme perduellio , parce qu'il avait empiété sur la puissance judiciaire régulièrement organisée; d'autres comme Sigonius et Schweppe, parce que le meurtre avait été commis devant le peuple et le Roi.

Il y eut encore un exemple d'une pareille instance vers les derniers temps de la République, bien que l'ignominie des peines corporelles, aussi bien que la mort, fût jugée incompatible avec les hautes prérogatives du droit de cité. Indépendamment de cela, les Douze Tables établirent la peine de mort contre quiconque aurait introduit l'ennemi dans le pays, ou lui aurait livré des citoyens.
Lorsque grâce aux progrès de l'esprit public, chacun eut conscience de toute l'étendue de la majesté du peuple romain, on vit se dégager aussi la notion des délits de lèse-majesté comprenant tous les faits de nature à amoindrir, léser ou menacer la dignité, la grandeur ou la puissance de la République. C'est dans ce sens que furent publiées plusieurs lois de lèse-majesté, la loi Apuleia, dont la date et la teneur sont incertaines, la loi Varia, en 664, la loi Cornelia (673), et la loi Julia de César (708) ; l'admission d'une seconde loi Julia d'Auguste repose sur des fondements qui ne présentent aucune certitude. Cette loi Julia (de César) qui embrassait un très grand nombre de cas, s'étendait à beaucoup de circonstances dans lesquelles on aurait jadis intenté une poursuite pour perduellio; la peine qu'elle prononçait était l'interdiction du feu et de l'eau. Sous l'empire, la majesté du peuple romain ayant été transportée au prince, et s'étant concentrée dans sa personne, on admit naturellement cette idée que toute attaque contre la propriété, les droits et la dignité du souverain était un attentat contre la majesté du peuple; déjà Auguste s'était fondé sur cette loi pour punir les auteurs de libelles, et depuis Tibère, l'apparence éloignée d'une atteinte à la vénération due au prince fut considérée comme un crime de lèse-majesté. Aussi les peines furent-elles arbitrairement aggravées, mais cela même conduisit à restreindre la notion de ce crime et à n'y comprendre que les faits et les attentats directement dirigés contre la paix publique ou la personne de l'empereur. Les autres actions que la loi Julia avait définies crimes de lèse-majesté, furent encore considérées comme punissables conformément à cette loi, mais ne furent plus poursuivies sous cette qualification, ni punies des peines graves qu'entraînait cette redoutable incrimination. Le crime de lèse-majesté, dans ce nouveau sens plus restreint, fut aussi nommé perduellio. Dans les derniers temps de l'empire s'introduisirent encore quelques dispositions plus rigoureuses ; cependant Théodose se montra très indulgent relativement aux injures verbales, tandis que l'empereur Arcadius assimila au crime de lèse-majesté même le projet d'attenter à la vie de certains fonctionnaires d'un rang élevé; d'autres princes allèrent encore plus loin. Déjà au troisième siècle la peine était la mort ; on y joignit dès les premiers empereurs la confiscation générale et la condamnation de la mémoire à l'exécration publique; bien plus, les enfants eux-mêmes étaient atteints, ce qui se vit pour la première fois lors des proscriptions de Sylla: Ce crime avait encore ceci de particulier que depuis Marc-Aurèle, non-seulement on continuait la poursuite d'une instance déjà commencée mais on pouvait même l'intenter pour la première fois après la mort. Au crime de lèse-majesté se rattachaient l'organisation d'assemblées nocturnes que les Douze Tables menaçaient de mort, l'excitation à l'insurrection, la trahison, et la désertion à l'ennemi.
On doit compter aussi parmi les délits intéressant l'Etat, ceux contre la Religion. Les Romains la considéraient avant tout comme une chose nationale, aussi conservèrent-ils ses usages à chaque peuple soumis à leur empire, tandis qu'ils punissaient comme contraire à l'Etat toute introduction arbitraire de doctrines ou de cérémonies nouvelles. Ce point était traité, moins comme une question de droit, que comme un intérêt de haute administration, et l'on intervint contre ces actes suivant l'exigence des circonstances par des édits d'avertissement et de prohibition, ou par des châtiments allant jusqu'à la mort. Sous les empereurs, on appliqua en cette matière la déportation, et contre les gens de condition inférieure le dernier supplice. On punissait d'une manière analogue la conversion au judaïsme, mais on procédait beaucoup plus sévèrement contre les disciples du Christ, puisque d'après les édits promulgués dans tout l'empire, on devait les contraindre en employant tous les moyens possibles à offrir des sacrifices aux Dieux de la patrie. Tel fut le fondement des persécutions exercées contre les chrétiens dont les Actes encore trop peu étudiés, présentent le plus grand intérêt tant pour le jurisconsulte (à cause des procès-verbaux judiciaires qu'ils renferment), que pour l'historien; il y trouverait la représentation vivante des émotions dont le contraste agitait alors le monde; le tableau de l'étonnement du Romain en face d'une grandeur morale que ses préjugés et son matérialisme ne lui permettaient pas de comprendre; celui du paganisme s'épuisant dans une rage impuissante, et enfin le magnifique spectacle d'une puissance nouvelle s'élevant du milieu des supplices et des cendres du bûcher. L'homicide volontaire était puni de mort par une loi de Numa, il l'était sans doute de la même manière par la loi des Douze Tables; l'homicide involontaire était d'après l'ancien droit religieux, et à ce qu'il paraît d'après les Douze Tables expié par le sacrifice d'un bélier. La loi fondamentale du droit postérieur fut la loi Cornelia de sicariis et veneficis, qui punissait non-seulement l'homicide volontaire
accompli, mais la tentative de meurtre ou de vol commise par des gens armés; il en était de même de la préparation et de la vente de poisons; cette loi punissait aussi d'une manière analogue comme l'avait fait précédemment une loi Sempronia le fait de celui qui organisaitune accusation capitale en subornant des témoins à prix d'argent; les faux témoins et le magistrat corrompu qui les entendait dans une pareille instance subissaient le même sort. Plusieurs sénatusconsultes et constitutions étendirent l'application de cette loi, notamment à la castration, aussi bien des esclaves que des hommes libres et aux sacrifices humains. La peine de la loi Cornelia était l'exil; plus tard on frappa de mort les gens de basse condition. On ne faisait aucune distinction entre l'homicide réellement accompli, et le cas où la victime désignée avait échappé. Le meurtre par colère ou par négligence était selon les circonstances,puni plus légèrement ou demeurait tout à fait impuni. Le droit ultérieur se montra spécialement sévère contre une forme spéciale de menaces de mort usitée en Arabie sous le nom de Scopelismus. La loi Cornelia contenait aussi sur le meurtre de certains proches parents,, des dispositions qui furent confirmées par la loi Pompeia de parricidiis ; la peine était la mort, qui pour le meurtre des ascendants avait lieu dans une forme particulière empruntée aux temps les plus antiques, forme que Constantin étendit également au meurtre des enfants. Le droit en usage sous les Rois punit de l'anathème ou de la mort les mauvais traitements exercés par les enfants sur leurs parents.
La loi des Douze Tables prononçait déjà une peine contre les incendiaires. Plus tard ce fut la loi Comelia, dont nous avons parlé plus haut, qui entreprit de réprimer ce crime. Sous l'empire, la peine de l'incendie volontaire fut communément la mort, et même la peine du feu en cas de circonstances aggravantes; quant à l'incendie dû à la simple négligence, il était puni suivant le plus ou moins de culpabilité de l'accusé.
Les Douze Tables contenaient également des dispositions contre l'usage dangereux de formules magiques, notamment celles qu'on employait pour jeter un sort (incantare) sur les productions de la terre. Un sénatus-consulte fit tomber sous l'application de la loi Comelia l'emploi frauduleux de maléfices, ainsi que la pratique et même la connaissance d'artifices magiques pour ensorceler quelqu'un ou le frapper de paralysie (defigere). Il faut rapprocher de cette disposition celle qui punissait les aruspices, les tireurs d'horoscopes, (mathematici), et autres individus exerçant l'art divinatoire.
Les actes de violence furent réprimés par une loi Plautia ou Plotia rendue sans aucun doute sous l'influence des désordres violents du septième siècle; elle punissait ceux qui avaient occupé des places qui ne leur appartenaient point, et étaient publiquement montrés en armes. Quintus Lutatius Catulus avait présenté sur le même sujet une loi qui est vraisemblablement celle-là même que nous venons de nommer. La loi proposée par Pompée sur les violences, contenait des dispositions qui restèrent en usage, quoiqu'elle n'eût été faite qu'en vue d'un procès spécial. Plus tard furent rendues plusieurs lois Julia sur ce point: l'une d'elles émanait de Jules César, et prononçait l'exil ; vinrent ensuite, la loi Julia de vi publica, et la loi Julia de vi privata. Viennent-elles toutes deux de César, cas auquel elles se confondraient en une seule, ou n'est-il l'auteur que de la première; furent-elles toutes les deux, ou au moins la seconde, rendues par Octave; ce sont là des questions qu'il est impossible de résoudre. Ce qu'il y a de certain, c'est que les deux lois sont restées le fondement de la législation postérieure en cette matière. La peine portée par la première était l'exil, la seconde prononçait la confiscation d'un tiers du patrimoine du coupable, peines qui furent plus tard remplacées par des dispositions plus rigoureuses. Des pénalités spéciales réprimaient deux cas qui se rapportent à ceux des lois citées plus haut, savoir, l'attaque d'une maison avec une bande armée, et le rapt d'une femme ou d'une fille.
L'impudicité fut réprouvée de tous temps par les coutumes et la Religion. Une loi de Numa défendait notamment à la femme qui avait eu des rapports notoires avec un homme, marié ou non, de s'approcher de l'autel de Junon. Plus tard, la séduction d'une femme ou d'une jeune fille de moeurs honorables, ou la conduite déréglée d'une matrone, donnaient lieu à une action de la part des édiles; le plus souvent toutefois, de semblables délits étaient vengés par le père, le mari ou les plus proches parents. Avec la décadence des moeurs parurent encore diverses lois sur cette matière, mais elles sont inconnues et abrogées en partie par la loi Julia de adulteriis proposée par Octave. Cette loi traitait surtout de l'adultère, c'est-à-dire des rapports criminels avec une femme mariée. Elle frappait les deux coupables d'une peine publique, et donnait à chaque citoyen le droit de se poser en accusateur, sauf cependant certaines restrictions particulières. La première consistait en ce qu'il n'était plus possible de former une accusation quand il s'était passé cinq ans depuis le crime; de plus, ni le mari, ni un tiers ne pouvaient accuser la femme adultère ou son complice tant que le mari n'avait pas répudié la coupable. Une accusation intentée pendant la vie du mari supposait donc la dissolution du mariage par le divorce dans les cinq ans du crime. C'est ici que viennent se placer les distinctions. Le premier droit d'accusation appartenait au mari et au père; ils avaient pour l'intenter un délai de soixante jours, courant à partir de la dissolution du mariage. Il était ensuite accordé, mais seulement jure extranei, un délai de quatre mois à quiconque se présenterait, et notamment aux deux intéressés que nous venons de mentionner. La poursuite n'était plus possible quand on avait laissé s'écouler six mois depuis le divorce, ou cinq ans depuis le crime. Le mari était-il mort, le droit d'accusation appartenait au père, ou à tout étranger, à la condition toutefois qu'on se trouverait dans le terme de six mois depuis le délit, si bien que dans ce cas, il n'était point question du long délai de cinq ans dont nous avons parlé. Dioclétien cependant, abolit cette prescription de six mois, de sorte qu'il ne resta plus que le délai de cinq ans. De son côté, Constantin limita le droit d'accusation aux parents les plus proches. On ne pouvait point l'exercer contre les deux prévenus en même temps, mais seulement l'un après l'autre; l'accusateur avait généralement le droit de commencer par celui des deux qu'il lui plaisait de choisir. Si l'adultère n'était découvert qu'après la mort de la femme, on pouvait encore intenter une action contre le complice, à la condition toutefois que cinq années ne se seraient point écoulées depuis le délit. L'accusation pouvait de même être formée pendant un second mariage que la femme adultère aurait contracté, seulement, il fallait alors commencer par mettre en cause le complice, en supposant qu'il vécût encore. Quant à la femme, elle ne pouvait être poursuivie que lorsque l'accusation dont on la menaçait lui avait été dénoncée avant la célébration de son nouveau mariage, mais sous Dioclétien, toute restriction disparut.
La peine prononcée par la loi Julia était pour les deux coupables la perte d'une partie de leur patrimoine, avec la rélégation dans une île ; de plus, on ne pouvait contracter mariage avec la femme adultère sans encourir les peines portées contre le lenocinium; plus tard, la peine de mort fut prononcée contre l'adultère. On ne faisait point de différence sous ce rapport entre l'homme libre et l'esclave. La loi Julia restreignit dans certaines limites la vengeance personnelle que l'ancienne législation abandonnait aux parties. Le père conserva cependant le droit de mettre à mort la coupable, mais seulement dans le cas où il l'aurait surprise dans sa maison, ou dans celle du mari, et où il aurait frappé les deux criminels sur place. Le mari ne pouvait en aucun cas tuer sa femme; quant au complice saisi sur le fait, il ne pouvait le mettre à mort que quand il faisait partie d'une certaine classe de personnes désignées par la loi, mais il pouvait dans tous'les cas le retenir pendant vingt heures dans sa maison. Toutes ces règles étaient faites pour l'union du droit des gens comme pour le mariage civil, et elles étaient applicables non pas seulement à l'épouse mais aussi à la liancée, et même selon les circonstances à la concubine. La loi Julia, ne s'occupe point de la violation du contubernium), pas plus que des femmes d'une condition infime ou d'un genre"de vie peu relevé. Les rapports criminels d'un homme marié avec une femme non mariée n'étaient jamais qualifiés d'adultère mais de stuprum, et n'étaient punissables que dans les cas où le stuprum, eût pu être puni.
Les relations coupables entre gens non mariés étaient aussi frappées d'une peine publique par la loi Julia, mais seulement quand le délit avait été commis avec une personne d'une condition honorable, sans distinction entre les ingénus et les affranchis. La peine était la même que pour l'adultère, et les dispositions relatives à ce dernier délit s'appliquaient également au droit d'accusation, au pouvoir domestique du père, et à la défense de contracter mariage avec les condamnés pour mauvaises moeurs. Le stuprum consommé à l'aide de séductions accompagnées de ruses ou accompli avec une jeune fille non encore nubile était puni d'une peine extraordinaire. De plus, la loi Julia frappait de la même peine que l'adultère certaines espèces de lenocinium. Celui par exemple qui avait prêté sa maison pour y
accomplir un adultère punissable ou un stuprum, tombait sous l'application de cette pénalité ainsi que le mari qui avait retiré quelque profit de l'inconduite de sa femme, ou s'était montré assez indifférent à son propre honneur pour ne pas la congédier immédiatement quand il l'avait prise sur le fait. Un sénatus-consulte infligeait le même châtiment au mari qui avait lui-même favorisé le séducteur de sa femme. Mais la loi Julia laissait impuni le stuprum qui n'avait point été commis avec une personne d'une condition honorable, par exemple avec une femme d'une classe inférieure, la concubine d'un autre ou une esclave. Il était même permis aux personnes d'un rang obscur de se faire un métier de la prostitution ou du lenocinium ordinaire, sauf la déclaration qu'elles étaient tenues d'en faire aux édiles. Aucune peine n'atteignait ce fait qui toutefois entraînait l'infamie. Une pareille déclaration ne protégeait cependant pas contre les peines prononcées par la loi Julia les femmes d'une condition élevée, et les empereurs chrétiens s'efforcèrent d'abolir complétement ce honteux métier.
Les crimes commis entre personnes du même sexe étaient punis de mort par la sévérité des anciennes coutumes une loi Scantinia, dont on ne connaît ni la date ni le contenu, s'en préoccupa aussi. La loi Julia rangeait ces faits parmi les stupra , mais les constitutions postérieures les frappèrent de nouveau de mort. Toutes les accusations produites en vertu de oes lois se prescrivaient par cinq ans.Le stuprum exercé avec violence à l'encontre d'hommes ou de femmes n'était point du ressort de cette loi Julia, mais tombait sous l'application de la loi de vi publica ; toutefois la peine de mort ne tarda pas à être appliquée de nouveau aux auteurs du stuprum exercé contre un homme libre.
La bigamie était considérée comme adultère pour la femme qui avait contracté un second mariage avant la dissolution du premier; l'infamie frappait celui qui épousait deux femmes à la fois, et il pouvait en outre être accusé de stuprum. Enfin une alliance entre parents ou alliés au degré prohibé n'était point considérée comme mariage, mais comme une union impie et incestueuse, réprouvée par la nature elle-même et la morale publique quand elle avait lieu en ligne directe, et par le droit civil en ligne collatérale. Un inceste de la première espèce était frappé d'une peine applicable aux deux coupables ; le second n'était réprimé qu'à l'encontre de l'homme, et on avait égard aux circonstances qui pouvaient l'excuser. La peine était celle de la loi Julia contre l'adultère, c'est-à-dire la relégation dans une île.

Mais sous Dioclétien, on fut obligé de rappeler d'une manière expresse le souvenir des prohibitions portées antérieurement; les peines furent alors pour la plupart fort aggravées, puis adoucies, enfin de nouveau rendues plus sévères par Justinien. Les mêmes principes firent proscrire le concubinat entre proches parents ; comme en cas d'adultère ou de stuprum commis par ces mêmes personnes,, il y avait concours de délits, l'homme était frappé d'une peine plus sévère c'est-à-dire de la déportation, et la femme encourait pour le moins les peines de la loi Julia. Il ne pouvait y avoir d'inceste entre les esclaves, mais après leur affranchissement, ils étaient mis en jugement selon les principes ordinaires suivant le degré de parenté qui les unissait pendant leur servitude. Les rapports criminels avec une vestale étaient considérés comme incestueux, et on punissait de mort les deux coupables.
Le même supplice était infligé d'après la loi des Douze Tables à l'auteur d'un faux témoignage. Il parut une loi Cornelia de Sylla contre la falsification des testaments et de la monnaie.Une série de sénatus-consultes et de constitutions impériales étendirent les dispositions de la loi Cornelia à d'autres faits, à celui par exemple de rendre ou de susciter de faux témoignages, et en général à toute espèce de falsifications directes ou indirectes, notamment à la supposition de part et à l'usage de faux poids et mesures. Un éciit de Claude fit tomber sous le coup de la loi Cornelia l'inscription de quelqu'un à son profit dans le testament d'un autre (adscriptio), fait que le sénatusconsulte Libonien ne punissait que de la nullité de la disposition, cette prescription de l'empereur fit naître un grand nombre de difficultés et de décisions particulières). La peine était d'ordinaire la déportation avec publication du patrimoine, et le dernier supplice quand il s'agissait d'esclaves ou de gens de basse condition. La falsification des monnaies était punie avec une rigueur particulière. La loi Visellia permettait de poursuivre criminellement l'usurpation des droits des ingénus commise par des Latins; enfin, celui qui s'était parjuré en prenant à témoin le génie du prince était passible d'un châtiment public; on laissait aux Dieux la vengeance des parjures commis en leur nom. Arcadius voulut cependant qu'on punit en les frappant d'infamie les atteintes portées aux conventions contractées sous l'invocation de Dieu.
Le plagium commis à l'encontre des hommes libres et des esclaves était frappé par la loi Fabia d'une amende considérable ; plus tard il fut puni extra ordinem d'une peine rigoureuse et même du dernier supplice. Le péculat, ou le vol des biens de l'Etat était originairement jugé suivant les circonstances par le Sénat et le peuple. Plus tard il le fut par une commission permanente, et tomba par conséquent sous les prévisions d'une disposition législative spéciale. La dernière rendue sur cette matière fut une loi Julia ; la peine était la déportation,, et même la mort quand le coupable était un fonctionnaire public; dans certains cas cependant, le plagium n'était puni que d'une indemnité du quadruple. La loi comprenait aussi dans ses prescriptions le sacrilegium ou le vol des choses consacrées, qui plus tard fut frappé de peines extraordinaires pouvant s'élever jusqu'à la mort. Le seul fait de retenir des deniers publics que l'on avait perçus était frappé par la loi Julia de residuis, d'une amende du tiers de la somme due. La loi Julia de annona en prononçait une de vingt pièces d'or contre ceux qui employaient des manoeuvres pour faire hausser le prix des céréales ; les. Dardanarii ou spéculateurs sur les blés étaient aussi l'objet de répressions extraordinaires. Enfin, l'usure était punie au temps des Douze Tables d'une peine pécuniaire du quadruple. Plusieurs dispositions législatives parurent sur ce point; la loi Marcia entre autres, appliquait dans ce cas la legis actio per manus injectionem. Ce délit fut également poursuivi d'office par les édiles ; Dioclétien prononça l'infamie contre ses auteurs; cette pénalité fut maintenue par Justinien qui n'avait point admis la constitution par laquelle Théodose avait renouvelé pour ce cas la peine du quadruple, tombée en désuétude. Les provinciaux n'avaient dans l'origine qu'un recours au Sénat pour se garantir de la corruption et des concussions des magistrats; cette assemblée nommait alors une commission prise dans son sein, et la chargeait de la formation et de la fixation de l'indemnité. La première loi rendue à ce sujet fut la loi Calpurnia de L. Piso Frugi qui établit une commission permanente et renouvelable chaque année au sein du Sénat, pour juger à la place du peuple. On ne peut soutenir en s'appuyant sur des fondements certains, que cette loi n'ait autorisé que les pérégrins à former l'accusation. Vint ensuite la loi Junia; les deux lois établirent la legis actio sacramento pour la demande en restitution; quelle en était la procédure et le but; s'appliquait-elle aux citoyens seulement ou également aux pérégrins ; c'est ce que l'on ne saurait dire avec certitude. Mentionnons encore une loi Acilia dont on ne connaît qu'une seule disposition relative à la procédure ; puis, entre les années 648 et 654, la loi du tribun C. Servilius Glaucia, qui changea la procédure établie par la loi Acilia, mais laissa subsister l'accusation formée en vertu de la loi Calpurnia et de la loi Junia. Cette loi Servilia transporta aussi, paraîtrait-il, à l'un des quatre préteurs que désignait le sort, la présidence de la commission permanente, laquelle avait jusqu'alors appartenu au préteur chargé de la juridiction sur les pérégrins. Parut ensuite la loi Cornelia de Sylla, et la loi si détaillée dite Julia de César, dont les dispositions demeurèrent fondamentales jusqu'aux temps les plus reculés. Le tribunal n'avait à se prononcer en premier lieu que sur la culpabilité de l'accusé; les mêmes juges procédaient ensuite à la litis aestimatio qui selon les cas pouvait toucher au caput, ou avoir pour résultat l'exil, mais qui habituellementne tendait qu'à une indemnité, d'abord au simple, puis au double d'après la loi Servilia, enfin au quadruple selon la loi Cornelia, la loi Julia y joignit cependant des peines infamantes. Plus tard ces délits furent punis extra ordinem, et habituellement de l'exi. L'accusation pouvait s'intenter même après la mort du prévenu, comme dans les cas de lèse-majesté; elle pouvait aussi être dirigée contre les tiers quand l'instruction sur la litis aestimatio prouvait que des valeurs extorquées leur étaient parvenues. A cette même classe de délits appartenait aussi le crime d'un juge qui s'était laissé corrompre, fait que la loi des Douze Tables avait puni de mort.
On recourut de bonne heure à des lois et à des pénalités rigoureuses pour réprimer l'arnbitus, c'est-à-dire l'emploi de moyens illicites pour obtenir les charges publiques.
Une loi Cornelia, vraisemblablement du consul Cn. Cornelius Dolabella, punit ce crime en déclarant son auteur incapable d'exercer aucune magistrature pendant dix ans. Dans la première moitié du septième siècle, on établit aussi à ce sujet une quaestio permanente. En l'année 687, et non sans de grands efforts, le Sénat avait fait rendre la loi Calpurnia qui prononçait une incapacité perpétuelle de faire partie de cette assemblée ou d'exercerles fonctions de magistrat; cette même loi y adjoignit en outre une peine pécuniaire à laquelle la loi Tullia de Cicéron ajouta dix ans d'exil. Vint ensuite, en 693, la rogation du tribun Aufidius Lurco, qui
toutefois ne passa point, et la loi Licinia de sodaliciis qui établit en 699 une quaestio spéciale pour cette espèce d'arnbitus. Citons encore la loi Pompeia de 702 et enfin la loi Julia d'Auguste. Des récompenses spéciales étaient assurées à l'accusateur qui triomphait dans sa demande; il entrait dans la tribu du condamné quand il y trouvait avantage, et si lui-même avait été antérieurement condamné pour le même délit, il était restitué contre les conséquences de la peine. Sous les empereurs, alors que le prince distribuait lui-même les magistratures, la loi Julia conserva son application dans une sphère beaucoup plus, restreinte pour les fonctions municipales, cependant elle servit toujours de titre pour la répression de certaines irrégularités commises par les candidats dans la brigue des fonctions publiques.
En traitant des délits ordinaires, nous avons déjà mentionné en partie les délits extraordinaires avec lesquels ils ont de l'analogie. Nous avons cependant à signaler encore les suivants: Les voleurs de grands chemins et les bandits étaient punis très cruellement et sur-le-champ, dans l'intérêt de la paix publique; leurs recéleurs étaient traités de la même manière. Les malfaiteurs évadés des prisons ou des lieux qui leur avaient été assignés, voyaient leur peine s'élever d'un degré, et par là pouvaient même être mis à mort. Un grand nombre de sénatus-consultes, d'édits et de prescriptions impériales (mandata), condamnèrent l'affiliation ou la participation à des associations non légalement autorisées, et assimilèrent ce délit aux crimes contre l'Etat.
On doit ranger au nombre des délits extraordinaires: La concussio ou l'extorsion accompagnée de manoeuvres tendant à faire croire à une autorité chimérique ; les infidélités commises par les avocats envers leurs clients, et aussi plus tard celles des accusateurs dans un procès criminel; les dénonciations intéressées au fisc ; les détériorations volontaires causées aux conduits ou citernes publiques, et en Egypte aux digues du Nil; l'avortemen, le fait de faire boire un philtre à quelqu'un. Il faut encore.placer dans la même catégorie les jongleurs qui se livraient à des jeux défendus et jouaient avec des serpents.Enfin, on pouvait poursuivre extraordinairement comme coupables de stellionnat tous ceux qui employaient dans un but intéressé des manoeuvres frauduleuses qui ne tombaient point sous une qualification spéciale de délits.
A côté des délits communs, il faut mentionner et distinguer les délits spéciaux des militaires. C'étaient: la trahison et le passage à l'ennemi, la désertion ou l'éloignement du corps sans permission, l'abandon du poste par celui qui est de garde ou de piquet; le fait de ceux qui prenaient la fuite et jetaient leurs armes pendant le combat, ou qui délaissaient un chef sans le défendre. l'excitation à la révolte, l'insoumission, et la résistance aux officiers; la vente des armes ou des effets d'équipement; une blessure faite à un compagnon d'armes ; le vol d'armes ou celui qui est opéré dans les camps; le fait de pénétrer dans le camp par-dessus les retranchements, ou d'en sauter les fossés; la tentative de suicide. Les peines étaient diverses, mais en général très sévères.
En ce qui concerne les délits des esclaves, il faut convenir que l'arbitraire était grand jusqu'en 773, époque où fut rendu un sénatus-consulte qui fit dominer dans cette matière les principes du droit commun, sauf toutefois certaines prescriptions particulières. L'esclave pris en flagrant délit de vol manifeste était, d'après la loi des Douze Tables battu de verges et mis à mort; mais l'édit du préteur vint également remplacer cette peine par l'indemnité ordinaire du quadruple. En outre, les esclaves furent, comme on va le voir, rendus responsables de la mort de leur maître, à tel point que lors du meurtre de leur patron, et d'après un sénatus-consulte Silanien (763) fortifié de plusieurs dispositions tirées de la loi Cornelia de sicariis, on mettait à mort en même temps, pour ne l'avoir point défendu, tous ceux qui s'étaient trouvés sous le même toit que le maître, non sans les avoir mis à la torture pour leur arracher des aveux sur l'auteur et les instigateurs du crime. On ne pouvait, sous peine de voir l'hérédité passer à l'Etat, ni ouvrir le testament laissé par le défunt, ni faire adition d'hérédité avant que cette loi n'eût été exécutée. Ces prescriptions furent encore complétées peu de temps après par un sénatus-consulte de l'an 764, et un sénatus-consulte Néronien, Claudien ou Pisonien, enfin par le préteur qui pour prévenir l'ouverture anticipée du testament, attachait à ce fait une action criminelle tendant à une peine pécuniaire.

Chapitre Quatrième.

Des Peines.

Les peines prescrites par les anciennes lois étaient au nombre de huit. L'amende, la prison, le bâton, la peine du talion, la perte de l'honneur, l'exil, l'esclavage et la mort. Sous les empereurs, on en adjoignit d'autres espèces qui donnèrent lieu à plusieurs classifications. Il faut en premier lieu distinguer les peines qui frappent le patrimoine ou les amendes, des peines proprement dites. La différence consiste en ce que les dernières ont pour conséquence une atteinte à l'honneur tandis que les autres le laissent intact. On distingue ensuite parmi les peines proprement dites, les peines capitales qui font perdre au coupable la vie, la liberté, ou le droit de cité, de celles qui n'entraînent pas ces conséquences. On peut enfin classer les peines d'après leur sévérité en distinguant les plus fortes de celles qui le sont moins, et des plus légères.
Il y avait jadis une grande différence entre les citoyens romains et les autres sujets relativement à l'application de ces pénalités. Plus tard cette distinction fut en quelque sorte remplacée par celle qu'on établit entre les gens d'une condition commune et ceux d'un rang plus élevé, notamment les décurions dont les priviléges étaient au reste partagés par les vétérans. Dès les temps les plus reculés, les esclaves furent punis avec une plus grande rigueur; plus tard cependant, ils furent en général assimilés aux gens de basse condition ; toutefois certaines peines ne leur furent naturellement jamais applicables, par exemple les adjudications pécuniaires et la relégation. L'esclave qui avait obtenu la liberté sous condition était d'abord considéré comme esclave sous le rapport de la peine ; plus tard il fut traité comme homme libre.
Les peines pécuniaires étaient de deux sortes: mentionnons d'abord les amendes (mulctae) qui étaient prononcées par les magistrats en vertu de leur juridiction et de l'imperimn qui leur appartenaient. Le maximum en avait été fixé à deux brebis et cinq boeufs par la loi Valeria, (l'an de Rome 245); il fut étendu par la loi Atemia à deux brebis et trente boeufs. Quant à la mesure de la peine prononcée contre ceux qui lui résistaient, le magistrat procédait de manière à commencer par une seule tête de bétail, en augmentant toujours d'une unité (1).

(1) Pline, Hist. nat. XVIII-. 3., Aulu-Gelle. XI. 1., Varron, de ling. lat. V. 177. Schwegler explique ces passages de la même manière. Mommsen pense au contraire que deux moutons constituaient la suprerna muleta pour le petit cultivateur, trente boeufs pour le riche possesseur de troupeaux. Lange établit cette proportion de la manière suivante: deux moutons pour le maximum des petits délits, trente boeufs pour les plus graves. Eisenlohr rejette avec raison cette interprétation mais l'auteur pense que le magistrat n'était point astreint à monter graduellement échelon par échelon, mais qu'il aurait pu prononcer dès l'abord une peine élevée.

L'usage d'exiger les amendes en nature persista longtemps; mais le payement s'effectua en argent à partir de la loi Papiria (an 324 de Rome); on estima alors une proportion fut naturellement différente. Les autres peines pécuniaires furent les amendes considérables que prononçait le peuple sur la proposition d'un magistrat; leur quotité était déterminée par une loi, ou laissée à l'arbitraire de celui qui faisait la rogatio au peuple; il était cependant d'usage en pareil cas de ne pas pousser la condamnation à une somme excédant la moitié du patrimoine. Au reste, les tribunaux criminels ordinaires prononçaient aussi des adjudications pécuniaires qui étaient alors de véritables peines. Pour les indigents, l'amende était remplacée par la prison; on leur infligeait même des châtiments corporels. Il en était notamment ainsi des esclaves.
Parmi les peines capitales, il faut mettre au premier rang la mort dont l'application aux citoyens fut cependant très restreinte sous la République par les lois Porciae. La forme la plus ancienne de cette peine était le supplice de la furca, morceau de bois fourchu dans lequel on plaçait le cou du condamné qui était ensuite fouetté jusqu'à la mort. On employait aussi la décapitation originairement par la hache puis sous les empereurs par le glaive, genre de supplice considéré comme le moins cruel. Il faut citer encore: la précipitation du haut d'un rocher, et la strangulation dans la prison, toutes deux défendues plus tard, le bûcher; la croix, supplice interdit par Constantin et remplacé par le gibet appelé furca dans le nouveau droit. On n'enterrait, vivant que les vestales qui avaient enfreint leur voeu de virginité. Il répugnait du reste vivement aux moeurs publiques de livrer au bourreau une femme encore vierge; on y arriva plus tard en employant un exécrable détour. L'empereur seul pouvait donner au coupable le choix de son supplice. On assimilait, suivant les cas, à la peine de mort la condamnation aux jeux des gladiateurs, peine qui disparut sous Constantin en même temps qu'eux, et la damnaio ad bestias. Ce dernier supplice n'était pourtant point appliqué aux citoyens romains, et ne le fut généralement dans la suite qu'aux gens de basse condition. Celui qui échappait aux bêtes était achevé dans le Spoliarium. Une autre peine capitale était la réduction en esclavage. Elle était rarement prononcée dans l'ancien droit; plus tard, parut la condamnation aux mines sous une forme double mais dont l'une différait peu de l'autre au point de vue du droit; on distinguait en effet les condamnés employés à l'exploitation même de la mine (in metallum), de ceux que l'on assujettissait à des travaux qui y avaient rapport (in opus metalli): les uns et les autres étaient au besoin envoyés dans une province étrangère. Cette peine était d'ordinaire perpétuelle, mais on ne la prononçait guère que contre les esclaves ou les gens de basse classe; les femmes n'étaient généralement employées que comme aides-mineurs (in ministerium metallicorum). Il faut encore rapporter à cette catégorie la condamnation aux jeux soit du combat soit de la chasse. Les condamnés aux jeux ou aux mines étaient aussi marqués à la face avec un fer brûlant, mais Constantin modéra cette peine. Tous ces châtiments privatifs de la vie ou de la liberté entraînaient la servitude à partir de la sentence; les condamnés devenaient esclaves non de l'empereur, mais de la peine elle-même. Un esclave frappé d'une de ces manières n'appartenait dès lors plus à son maître. Ceux qui n'avaient été condamnés qu'aux jeux du cirque pouvaient recouvrer la liberté après un certain laps de temps.
L'ancien droit ne connaissait point les peines capitales qui ne privaient le coupable que du droit de cité, en lui laissant la liberté. On voyait il est vrai tous les jours des prévenus se condamner eux-mêmes à l'exil pour se soustraire à la honte d'une accusation ou d'une peine sévère; mais cela ne les garantissait pas complétement d'une réclamation en extradition; d'un autre côté, le lieu vers lequel se dirigeaient ces exilés volontaires ne pouvait être indifférent à la sûreté de l'Etat. C'est pourquoi ce genre de bannissement était toujours suivi d'un plébiscite qui reconnaissait l'exil en le validant, et avait en outre pour effet de rendre impossible le retour du banni auquel on interdisait un abri, ainsi que le feu et l'eau. Les lois Porciennes et d'autres encore rendirent général le jus exilandi; elles indiquaient en même temps les villes dans lesquelles les exilés auraient le droit de résider, et des traités leur assuraient ce qui était nécessaire à l'existence. A côté de ces expatriations volontaires vinrent se placer, déjà du temps de la République, des décrets d'exil rendus par le peuple à titre de peine, avec interdiction du feu et de l'eau. Les empereurs y joignaient fréquemment l'assignation de domicile dans une île désignée. L'exil ou l'interdiction de l'ancien droit, ainsi que la déportation furent donc maintenues simultanément comme étant des pénalités à peu près de la même nature. La déportation était cependant d'un usage plus fréquent; les deux peines entraînaient la perte de la cité, et par conséquent du droit de recueillir ou de transmettre une succession, car le déporté était considéré comme mort au point de vue du droit civil. Au reste, la peine de la déportation ne pouvait être prononcée que par les préfets du prétoire, par leurs remplaçants provisoires et le préfet de la ville; les gouverneurs de provinces devaient prendre à cet égard les ordres de l'empereur. Une autre peine entraînant la perte de la cité était la condamnation aux travaux publics à perpétuité (inopuspublicum)); elle n'était du reste prononcée ni contre les personnes d'une condition élevée, ni contre les esclaves.
Sous l'empire de l'ancien droit sacré, les peines capitales étaient accompagnées de la confiscation des biens au profit de l'Etat. Déjà du temps de la République, l'exil entraînait ordinairement la publication du patrimoine. Sous les empereurs, la confiscation était même attachée non-seulement à toutes les peines privatives de la vie ou de la liberté, mais aussi à l'exil et à la déportation et vraisemblablement aux travaux forcés à perpétuité. Cependant, quand le condamné avait des enfants, on leur laissait régulièrement la moitié du patrimoine de leur père. Depuis Théodose II, les présidents des provinces durent consulter l'empereur au sujet de chaque confiscation, et Justinien voulut que cette peine ne fût pas appliquée (le crime de lèse-majesté excepté) toutes les fois qu'il existait des descendants ou ascendants jusqu'au troisième degré. La dévolution des biens au fisc supposait toujours une condamnation irrévocable; aussi, quand l'accusé décédait pendant le procès, ou même, après la condamnation, mais pendant le délai d'appel, ses biens appartenaient aux héritiers, lesquels étaient cependant tenus, dans ce dernier cas, de poursuivre l'appel jusqu'à la fin de l'instance. Le condamné ne pouvait point détourner la confiscation par le suicide; et les crimes de lèse-majesté ou de concussion pouvaient donner lieu à des accusations et à la confiscation, même après la mort de l'accusé.
Les peines non capitales atteignaient soit le corps soit la liberté, soit seulement l'honneur civique. A la première catégorie appartenait la peine du talion tant qu'elle subsista. A part cette dernière pénalité, les amputations ou mutilations de membres étaient peu fréquentes même dans le nouveau droit, et Justinien les rendit plus rares encore).
On employait aussi diverses espèces de châtiments corporels sous la République; on ne pouvait, il est vrai, battre de verges un citoyen romain mais il n'était pas interdit de lui infliger d'autres coups (verbera), comme le démontrent plusieurs lois rendues sur cette matière. Au temps de l'Empire, les gens de basse condition pouvaient seuls être battus de verge ; on employait le bâton contre les hommes libres; la peine plus humiliante du fouet était réservée aux esclaves. Il faut mentionner de plus, la condamnation à temps aux mines comme aide-mineur, ou la peine des travaux publics. Les peines non capitales privatives de la liberté étaient l'emprisonnement et la relégation. La première s'exécutait soit en détenant purement et simplement le condamné, soit en le chargeant d'entraves. L'emprisonnement pouvait durer pendant toute la vie du condamné cependant on défendit plus tard aux gouverneurs des provinces de prononcer une détention perpétuelle contre les hommes libres. Quant aux esclaves, ils pouvaient être condamnés aux fers aussi bien à perpétuité qu'à temps, à la condition d'être dans ce dernier cas rendus à leur maître, après l'expiration de la peine.
La relégation consistait soit dans l'interdiction d'une résidence déterminée, soit dans l'assignation d'un lieu désigné pour domicile; dans les deux cas, la peine pouvait être perpétuelle ou temporaire. La relégation était déjà connue du temps de la République; elle n'entraînait point la perte des droits civiques ni aucune diminution de patrimoine, à moins de dispositions spéciales à cet égard ; même dans ce cas, une confiscation des biens ne pouvait atteindre que le condamné à la relégation perpétuelle. Peine qui en effet était fréquemment accompagnée de la privation d'au moins une partie du patrimoine. C'est là ce qui distinguait essentiellement la relégalion de l'exil proprement dit; cependant, plus tard, le mot exil fut employé dans une acception plus étendue qui comprenait aussi la relégation (1).

(1) On employait fréquemment la relegalio à la place de l'exil proprement dit.

La forme la plus douce de cette peine consistait à garder les arrêts à la maison.
La plus sévère des peines qui atteignaient le condamné dans son honneur, était celle en vertu de laquelle il était déclaré légalement improbus et intestabilis, et dès lors incapable de presque toutes les relations juridiques. L'infamie avait quelque chose de moins sévère ; elle atteignait cependant une portion du caput en excluant le coupable de la tribu , des comices, des magistratures et autres charges civiques importantes; aussi l'infamie ne pouvait être encourue que par les hommçs. Il n'en fut plus ainsi lorsque la loi Julia eut restreint la capacité de contracter mariage à cause de la conduite scandaleuse de certaines femmes, et que la jurisprudence les eût fait entrer dans la catégorie des infames. Il y eut donc dans certains cas des femmes atteintes par l'infamie, et dès lors l'édit se compléta de ces nouvelles prescriptions. Sous le droit de Justinien, ces restrictions furent totalement enlevées ; cependant la possibilité de noter les femmes d'infamie continua de subsister, mais en principe seulement, et sans application légale; voilà pourquoi bien des textes qui se rapportaient à ce sujet ont été admis dans les recueils de Justinien (1)

(1) Les dispositions nouvelles concernant l'infamie appliquée aux femmes auront sans doute été de nouveau effacées des Pandectes dans les passages les plus importants de l'édit qui y avaient été introduits. Cela s'explique facilement par cette circonstance que si ce titre des Pandectes traite de l'infamie, c'est uniquement à cause de son rapport avec la Postulatio dont il ne pouvait être question pour les femmes.

. Au reste, la peine de l'infamie (sans parler des cas que nous avons déjà eu l'occasion de faire connaître) se présentait comme un accessoire de la condamnation dans tous les judicia publica. Il en était ainsi de certains délits privés; que la poursuite ait eu lieu, soit sur une action privée, soit par accusation criminelle extraordiinaire; enfin, il en fut de même de certaines actions civiles. Le juge ne pouvait rien changer à ces prescriptions de la loi) ; cependant, quand une peine trop forte avait été illégalement prononcée, on compensait cette erreur en n'imposant pas l'infamie au condamné. Il y avait encore d'autres pénalités attaquant l'honneur des coupables; c'étaient: l'expulsion du Sénat ou de la curie à temps ou à perpétuité, l'exclusion de toutes ou de certaines fonctions honorifiques, l'interdiction d'exercer une profession ou un métier pendant un certain temps, ou pour la vie entière. On refusait toute sépulture d'après le droit pontifical à ceux qui s'étaient suicidés .par strangulation; cette sanction fut plus tard étendue, à d'autres manières de s'arracher la vie. On ne portait pas non plus le deuil de ceux que les remords de la conscience avaient conduits au suicide. L'usage de s'adresser au Sénat ou au prince pour éviter la peine qui frappait le suicide, en obtenant la permission de s'ôter la vie, vient des Grecs et non des Romains.
Les militaires étaient frappés de peines spéciales; ils étaient condamnés à périr par le bâton sous les coups de leurs compagnons); ils étaient encore: décimés, vendus comme esclaves, congédiés ignominieusement, dégradés, incorporés dans une troupe inférieure, employés à des fonctions communes ou viles, frappés d'une diminution de solde, condamnés à l'amende avec saisie d'un gage, soumis aux verges ou au bâton, à la saignée, à des entraves corporelles, à une mauvaise alimentation, forcés de camper hors des retranchements et à faire route avec les bagages. Il était défendu de faire subir aux soldats une mort ou des supplices ignominieux ; de même, la condamnation à mort prononcée pour un délit militaire n'entraînait point la confiscation du patrimoine acquis au service.

Chapitre Cinquième.

Des Juridictions.

Dans les premiers temps de Rome, le droit de punir les citoyens dans leur corps, leur vie et leurs biens était un des attributs de la toute puissance attachée à la dignité royale. L'exercice de ce droit était réglé par la coutume, et les lois n'y apportaient que peu de restrictions. Le Roi jugeait lui-même avec l'assistance d'un conseil les crimes les plus graves; il abandonnait les délits moins importants au jugement de quelques sénateur. Les décisions du Roi n'admettaient point la provocatio. Il pouvait aussi en cas de crimes graves dont l'auteur avait troublé la paix publique, et s'était pour ainsi dire jeté au-devant de la mort comme un ennemi, déléguer en qualité de juges des duoviri perduellionis choisis sur sa proposition par les comices-curies, mais dont la sentence était susceptible d'appel devant les comices. Les deux quaestores parricidii étaient chargés de la recherche et de la poursuite du crime.
Après l'abolition de la royauté, la puissance répressive vint se placer avec toute sa plénitude sur la tête des consuls; mais le génie de la liberté naissante ne tarda pas à en limiter essentiellement les effets. La loi Valeria (215) commença par attribuer au jugement des comices-curies les affaires capitales des citoyens romains; elles furent ensuite déférées aux comices-centuries par la loi des Douze Tables, et cette situation renouvelée par une loi Sempronia resta la même jusqu'aux derniers temps de la République. De plus, les tribuns avaient conquis le droit de porter des accusations devant les comices-tribus, et d'y présenter des motions tendant à des peines pécuniaires. C'est de cette manière que le peuple hérita de la puissance judiciaire criminelle. Il n'intervint cependant pas toujours lui-même dans ces débats, mais abandonna souvent à un ou plusieurs commissaires (inquisitores), ou même au Sénat, l'information et le jugement des affaires. Toutefois, à côté de ces nouvelles institutions, se maintenait dans sa forme antique le Perduellionis judicium; il avait lieu en principe devant les comices-curies, puis après leur chute, devant les comices-centuries ; on voit même à la fin de la République un exemple d'un jugement semblable rendu par des duumvirs élus à cet effet. Mais avec le peuple intervenait le Sénat auquel appartenait aussi la connaissance des délits, surtout lorsqu'ils se rapportaient à l'administration supérieure. Il déterminait la conduite à suivre et les peines à appliquer aux colonies révoltées et aux villes insurgées; il statuait dans les cas où il le croyait nécessaire pour assurer la paix du pays et l'autorité de la loi, sur les crimes les plus graves commis en Italie; il poursuivait aussi dans Rome même, et contre des citoyens romains, les délits qui par leur nombre, leur nouveauté ou leurs ramifications, troublaient la République; il recevait les plaintes des alliés et des provinciaux sur les exactions de leurs magistrats. Dans ces divers cas, alors que le Sénat de son plein droit, ou comme nous l'avons dit plus haut, par délégation du peuple, entreprenait la poursuite ou la punition d'un délit, il agissait parfois par lui-même; mais la plupart du temps en commettant des inquisitores qui étaient ordinairement les consuls ou un préteur. Une commission de ce genre devait toujours être autorisée par le peuple quand il s'agissait d'affaires capitales concernant les citoyens romains. Si cependant la patrie était en danger, et le crime avoué ou évident, le Sénat ordonnait sans autre formalité la poursuite ou l'exécution.
Les magistrats possédaient du reste aussi une certaine juridiction pénale. Le droit de prononcer des amendes fut, il est vrai, restreint dans une certaine mesure par les lois Valeria et Aternia; il est vrai aussi qu'à diverses reprises des dispositions législatives assurèrent la provocatio devant le peuple contre les décisions qui prononçaient la peine capitale, celle des coups, ou des amendes excessives ; mais les consuls, les préteurs, et tous les magistrats qui avaient l'imperium, conservèrent le droit de prononcer des peines corporelles modérées, d'envoyer les coupables en prison, et d'infliger des amendes dans la mesure légale; ils employaient aussi leur pouvoir à la punition des délits peu importants. Bien plus, les consuls avaient une puissance illimitée sur ceux qui n'étaient pas citoyens romains; ils l'exercèrent même contre les citoyens dans le cas où le délit était flagrant, et prirent dans certaines circonstances extraordinaires les décisions les plus énergiques, non pas il est vrai sans s'exposer à une périlleuse responsabilité. Il y avait à côté de cela plusieurs autres juridictions pénales particulières, et en premier lieu l'autorité toute spirituelle du Pontifex maximus; plus tard le prince l'exerça comme toutes les autres en même temps qu'il s'attribua le pouvoir pontifical; mais quand cette souveraineté spirituelle fut répudiée par les empereurs chrétiens, la juridiction qu'elle renfermait passa au collége des pontifes qui pour l'exécution de la peine de mort en référa au préfet de la ville, ou hors de Rome, au gouverneur de la province.
Le commandant d'une armée avait sur les soldats une autorité illimitée ; le conseil de guerre était présidé par un des tribuns militaires qui prenait en considération les registres des punitions qui étaient tenus avec beaucoup d'exactitude. Les triumviri capitales avaient sur les esclaves et les gens de basse condition une autorité de répression d'une grande énergie. Enfin il faut tenir compte de l'ancien tribunal domestique et de famille, comme d'un complément très actif de la puissance pénale publique.
Il est difficile de dire d'une manière précise comment était organisée l'administration de la justice pénale hors de Rome. Ce qu'il y a de certain, c'est que les magistrats des cités avaient une juridiction pénale dans les municipes et les colonies, mais les affaires capitales devaient être jugées par les autorités judiciaires de Rome. Dans les provinces, les gouverneurs avaient été revêtus par le peuple de la plénitude de la juridiction pénale, qui du reste appartenait aussi aux villes dans une certaine mesure, et dans des cas qui ne sont pas bien déterminés.

Chapitre Sixième.

Des Commissions permanentes. (Quaestiones perpetuae).

L'usage qu'avait le peuple de nommer fréquemment des commissions pour le jugement d'un crime qui venait de se commettre, conduisit de lui-même, quand les méfaits se multiplièrent, à l'idée d'instituer annuellement, pour les délits les plus graves ou les plus fréquents,, des commissions permanentes semblables, dont le personnel se renouvelait chaque année. On donna pour cette raison le nom de quaestiones perpetuae à ce genre de commissions, bien qu'elles ne fussent instituées que pour une année. La première fut établie par la loi Calpumia, due au tribun L. Piso Frugi (605), contre les concussions des magistrats, et fut suivie de plusieurs autres instituées peu à peu et pour d'autres délits. Sylla notamment, réorganisa ou établit pendant sa dictature (en 673), soit les quaestiones perpetuae qui existaient déjà, soit de nouvelles commissions pour la répression des crimes d'empoisonnement, de faux, d'homicide, et plusieurs autres. Dans les derniers temps de la République, on trouve des exemples de commissions permanentes spécialement établies pour les crimes d'empoisonnement, d'homicide, de concussion, de péculat, et aussi pour ceux de lèse-majesté, de violences et les faits punis par la loi de Sodalitiis. Cependant une affaire pouvait encore être soumise aux comices, quand il n'existait pas de commission pour le cas dont il s'agissait. Le peuple et le Sénat pouvaient même, selon les circonstances, établir une nouvelle quaestio à côté d'une commission déjà organisée ; c'était ce que l'on appelait alors, extra ordinem quaerere.
La composition des commissions et la procédure à suivre pour chacune d'elles étaient généralement déterminées avec soin par les lois qui les établissaient. Cependant plusieurs de ces lois avaient une portée plus générale. Le quaesitor ou président d'une commission était souvent un des préteurs comme au temps des commissions temporaires. Cela fit augmenter le nombre de ces magistrats en même temps que celui des quaestiones; mais comme cette mesure ne suffisait pas encore, on choisit de plus pour ces commissions des présidents spéciaux nommés judices quaestionum. Après leur élection, les préteurs et les judices quaestionum se partageaient les commissions par la voie du sort. On pouvait cependant réunir deux quaestiones sous le même président, ou répartir entre plusieurs quaesitores des crimes prévus par la même loi ou enfin en désigner plusieurs pour des délits de la même nature. On donnait ensuite à chaque commission un nombre déterminé de jurés qui furent d'abord choisis exclusivement parmi les sénateurs, comme au temps des commissions temporaires, et plus tard, dans les classes désignées à cet effet.
Voici ce que l'on sait sur la manière dont les choses se passaient. Quatre cent cinquante jurés furent désignés pour la quaestio repetundarum ou de concussion; ils étaient choisis tous les ans par le Praetor peregrinus qui rendait leur nomination publique en faisant inscrire leurs noms en lettres noires sur la surface blanche de l'album. Au temps de Sylla, où les jures étaient de nouveau pris exclusivement parmi les sénateurs, cette inscription spéciale devint inutile. Après Sylla, le préteur urbain composait annuellement une liste de jurés pris parmi les trois ordres qui jouissaient alors de ce privilége, et c'était parmi ces jurés désignés, que les questeurs de l'Aerarium tiraient au sort ceux qui devaient être répartis dans les différentes commissions. Il n'y a rien de certain sur le nombre de citoyens qui composaient cette liste. Les jurés choisis s'appelaient simplement judices selecti, et leurs noms étaient, selon l'ancienne coutume, inscrits sur un album.
Le choix des jurés pour chaque judicium se faisait de la manière suivante: d'après la loi Servilia repetnndarum, l'accusateur nommait cent jurés parmi les quatre cent cinquante citoyens désignés pour cette commission; l'accusé en choisissait un nombre égal, et c'était sur ces deux nombres de cent jurés que chacune des parties en désignait cinquante, l'accusé choisissant sur les cent qui avaient été pris par l'accusateur, et celui-ci sur ceux de l'adversaire. D'après les lois de Sylla, sous l'empire desquelles les juges étaient pris uniquement parmi les sénateurs, le préteur désignait pour chaque judicium une décurie du Sénat indiquée par la voie du sort. La loi Cornelia permettait aux parties de récuser trois juges et même davantage quand les intéressés étaient membres du Sénat, et alors il fallait procéder à un tirage supplémentaire dans une autre décurie.
Plus tard, le nombre de jurés nécessaire pour chaque judicium fut tiré au sort par le préteur ou le judex quaestionis parmi les judices composant la liste de la quaestio Les deux parties avaient le droit d'exercer des récusations sur les jurés qu'ils ne voulaient point accepter, et alors il y avait lieu de procéder à une subsortitio, c'est-à-dire à un tirage complémentaire dans lequel le sort intervenait également. D'après la loi Vatinia (694), l'accusé pouvait, après que l'accusateur avait opéré ses récusations, rejeter lui-même tout le reste du consilium, et vice versa, si bien qu'on était obligé de tirer au sort un conseil tout nouveau. La procédure instituée par la loi Licinia de Sodalitiis (699) avait quelque chose de particulier en ce que l'accusateur, après avoir désigné quatre tribus, et subi de la part de l'accusé la récusation de l'une d'elles, choisissait seul les jurés parmi les trois autres. Enfin, d'après les deux lois de Pompée (702) on tira au sort quatre-vingt-un noms parmi les trois cent soixante jurés qui furent choisie cette fois dans les trois classes privilégiées par le consul tout seul, à défaut d'autres magistrats ; les deux parties en rejetèrent immédiatement cinq de chaque classe avant le vote, de sorte qu'il n'en resta plus que cinquante et un. Les jurés choisis devaient prêter serment de remplir de leur mieux leurs fonction judiciaires au procès: il en était de même du judex quæstionis; mais le préteur n'y était pas tenu, car il était déjà lié par le serment prêté en entrant en charge. Là dessus, les noms des jurés étaient réunis dans une liste déposée ensuite à la chancellerie du préteur, ad perpetuam< rei memoriam.

Chapitre Septième.

La Juridiction Criminelle au temps de l'Empire

Sousl'Empire, la juridiction criminelle fut enlevée aux comices déjà du temps d'Octave, qui respecta cependant l'institution des commissions permanentes avec leurs préteurs et les jurés, et donna sur ce sujet dans la loi Julia judiciorum publicorum des prescriptions détaillées qui étaient communes à toutes les quaestiones. Quant aux jurés, il est certain que cette dernière loi, ainsi que la loi Julia privatorum, traitait les judices selecti des commissions permanentes et ceux des tribunaux civils comme formant des catégories séparées. Il n'est pas moins sûr que sous Octave, on composa chaque année par la voie du sort, les listes générales des jurés, d'où l'on tirait e personnel des tribunaux civils et des différentes quaestiones. C'est un point resté obscur que celui de savoir dans quelles catégories de personnes se faisait ce tirage. Les trois décuries de la République ne conservèrent pas dans ce système leur organisation primitive. Octave leur en imposa une nouvelle, et finit par ajouter une quatrième décurie aux trois qui existaient déjà. Il composa celle-ci en y faisant entrer les citoyens dont le cens s'élevait à 400,000 sesterces, c'est-à-dire les chevaliers et les sénateurs; la quatrième fut formée de Ducenarii qui n'étaient imposés que pour 200,000 sesterces. Cette dernière décurie qui ne fut instituée que pour les procès civils de moindre importance, resta tout à fait étrangère aux quaestiones; il faut en dire sans doute autant d'une cinquième décurie que Caligula ajouta aux quatre autres. C'est là ce qui distingua spécialement les trois premières parmi les cinq décuries de juges; en outre, les selecti formaient parmi les juges des décuries, une catégorie spéciale qui ne coïncide cependant pas complétement avec la distinction précédente. Peu de temps après Octave, vraisemblablement déjà sous Tibère, on comprit au nombre des juges des décuries jusqu'aux citoyens romains des provinces, à l'exception pourtant de ceux qui venaient seulement de recevoir le droit de cité. C'est par l'allectio que se lit plus tard la réception dans les cinq décuries. On ne peut indiquer clairement comment sur la liste générale des jurés se faisait le tirage qui distinguait les judices destinés aux tribunaux civils. de ceux qui devaient faire partie des quaestiones. On ne sait pas davantage comment on distribuait ces derniers dans les différentes commissions, ni si sur ce point on avait maintenu les anciennes prescriptions légales.
La compétence des quaestiones fut cependant restreinte de bonne heure;c'est ainsi qu'en premier lieu, Octave attribua au Sénat une nouvelle et importante juridiction pénale pour certains cas dont le jugement eût dû appartenir en partie aux quaestiones . De plus, les constitutions impériales fidèles à l'esprit des nouvelles institutions, accordèrent peu à peu au préfet de la ville la connaissance d'un grand nombre de délits extraordinaires et même ordinaires. Enfin, un rescrit de Septime-Sévère au préfet urbain Fabius Cila attribua à ces dignitaires (en 205), la répression de tous les délits commis dans Rome, et dans un rayon de cent milles autour de la capitale. Cela amena un changement complet dans la juridiction criminelle, et les commissions perpétuelles, qui avaient existé jusque-là, disparurent alors complétement. Le préfet ne jugeait point avec l'assistance de jurés dont la décision se formait à la majorité des voix, mais après avoir simplement pris l'avis de son conseil composé de personnages du rang le plus élevé. Cette mesure rendit inutile le choix d'un jury, et à partir du troisième siècle, la procédure fut extraordinaire dans tous les cas. Le Praefectus vigilum avait à réprimer certaines espèces de délits qui se rapportaient au cercle de ses attributions; ces répressions pouvaient aller jusqu'à la peine de mort quand il statuait contre des esclaves. On ne peut affirmer avec la même certitude que le tribunal des centumvirs ait eu également à s'occuper d'affaires criminelles.Nous avons vu qu'en Italie la juridiction criminelle appartenait au préfet de la ville, jusqu'aux limites d'un rayon de cent milles autour de Rome; au delà, elle était dans les mains du préfet du prétoire pour certains cas, et pour le reste, dans celles des correcteurs ou consulaires des régions. Dans les provinces,elle appartenait, comme sous la République, au gouverneur. La puissance de ce dignitaire réunissait dans la contrée où il commandait, la plénitude des attributions qui à Rome étaient divisées entre diverses autorités, et comprenait même les cognitiones extraordinariae appartenant au préfet de la ville. Il avait aussi la connaissance des infractions légères, et des délits des esclaves. L'intendant de l'empereur (procurator Caesaris) ne jouissait comme tel d'aucune juridiction criminelle; seulement quand il remplissait comme en Judée les fonctions de gouverneur, il était aussi chargé de statuer sur quelques affaires pénales. On ne peut déterminer quelle était la mesure de la puissance répressive accordée en Italie et dans les provinces aux magistrats des villes; ce qu'on sait d'une manière positive, c'est qu'ils avaient un certain pouvoir de répression sur les esclaves, et un devoir de surveillance à exercer relativement à la garde et à l'interrogatoire préalable des malfaiteurs. Les peuples alliés (faederati), et les villes libres, avaient naturellement la juridiction criminelle dans toute sa plénitilde,ce qui n'empêchait cependant pas leurs habitants d'être aussi justiciables des magistrats romains. La Judée était sous ce rapport dans une situation particulière; le grand prêtre y pouvait avec le Sanhédrin emprisonner, juger et condamner à mort, d'après la loi juive, les auteurs d'attentats contre la religion; mais la confirmation et l'ordre d'exécution de la sentence devaient être demandés au gouverneur romain.
La plénitude de la juridiction n'était du reste attachée àaucun emploi comme en découlant d'elle-même, si ce n'est à l'imperium;mais on la considérait toujours comme un de ses attributs extraordinaires. Elle était appelée merum imperium, jus gladii, potestas dans le sens plus restreint du mot, et elle ne venait s'attacher à une fonction que par la prescription expresse d'une loi, d'un sénatus-consulte,ou d'une constitution impériale. Voilà pourquoi on ne pouvait la déléguer qu'en vertu d'une disposition spéciale, à la différence de la juridiction proprement dite.
Mais l'empereur intervint aussi très activement dans l'administration de la justice répressive. On déféra souvent à son tribunal des crimes graves de toute nature. Ils furent jugés tantôt par l'empereur en personne avec l'assistance de son conseil, tantôt par le Sénat, ou bien renvoyés au préfet du prétoire ou à un autre juge pour en connaître extraordinairement. Spécialement, un décurion ne pouvait être frappé d'une peine capitale dans aucune partie de l'Empire sans qu'on en eût d'abord référé au prince. Il fut aussi permis d'en appeler à lui comme cela se faisait pour les affaires civiles, même du fond des provinces ; souvent les gouverneurs soumirent à son appréciation des cas douteux, afin d'obtenir une décision directe.
A partir de Constantin, la juridiction criminelle fut organisée de la manière suivante: Dans les deux capitales, le Praefeclus urbi avait, comme auparavant, la connaissance des crimes graves ; il déléguait dans certains cas le préfet de l'annone avec lequel concourait dans Rome le lieutenant (vicarius) du préfet de la ville.
Le préfet des gardes de nuit jugeait les délits de moindre importance ; il fut remplacé plus tard à Constantinople par le préteur du peuple. Hors de Rome, extra centesimum milliarium, le préfet n'avait pas de juridiction criminelle directe, elle appartenait aux consulares; seulement dans les provinces voisines de la capitale, leur puissance pénale était encore limitée par celle du préfet de la ville. La juridiction propre du Sénat n'existait plus; au lieu d'être jugés par lui, les délits d'une certaine gravité, spécialement ceux qui offensaient la personne sacrée de l'empereur, étaient souvent évoqués à la cour, et dévolus à la juridiction du préfet du prétoire ou à d'autres personnages de confiance ; l'instruction en était parfois déléguée au Sénat.
Dans les provinces, la suprême juridiction pénale était entre les mains des gouverneurs; il en était de même dans toute l'Italie, sauf les modifications apportées dans l'administration exceptionnelle des provinces italiennes dépendant de Rome (Suburbicariae provinciae). Mais les gouverneurs ne devaient point s'occuper des délits ou infractions de peu d'importance; la connaissance en appartenait donc aux magistrats municipaux. La puissance répressive d'un ordre secondaire fut donnée, au cinquième ou sixième siècle, aux défenseurs des cités; dès lors c'était à eux seulement et non aux magistrats à se préoccuper de l'interrogatoire provisoire des individus accusés de crimes graves, et de leur renvoi immédiat devant le gouverneur.
Il y avait d'ailleurs plusieurs juridictions criminelles spéciales instituées pour juger, les unes, certaines espèces de crimes, les autres, certaines classes de personnes. A la première de ces catégories appartenaient les méfaits relatifs aux vivres et approvisionnements. Le Praefectus annonae avait sur ces délits, et dès lors sur les corporations qui dépendaient de ce service, une juridiction pénale qui allait jusqu'au droit de vie et de mort. Il faut ranger dans la seconde catégorie les tribunaux suivants: le Sénat; car dans les premiers temps de l'Empire, les sénateurs furent jugés par le Sénat lui-même; le tribunal du préfet de la ville, auquel la nouvelle organisation de Septime-Sévèrer envoya les délits commis par les sénateurs .dans Rome, ou dans un rayon de cent milles autour de la capitale. Sous Constantin, le système adopté fut celui-ci: les sénateurs domiciliés à Rome dépendaient du préfet de la ville, qui toutefois était tenu d'en référer à l'empereur en cas d'accusation grave. Les sénateurs qui habitaient les provinces, même celles d'Italie, étaient placés par une ordonnance de Constantin (317) sous la juridiction des gouverneurs . On décida cependant bientôt après, que ces sortes de procès, toujours instruits par les tribunaux ordinaires, seraient renvoyés, quant à la détermination de la peine, au préfet de la ville pour les provinces dites suburbicaires, et au préfet du prétoire pour les autres. Le préfet de la ville fut, malgré cela, toujours tenu (quand il s'agissait du jugement d'un membre du Sénat) de s'adjoindre un conseil de cinq sénateurs désignés par la voie du sort. Justinien qui n'admit dans son recueil que la seule constitution de Constantin, supprima cette disposition.
Les fonctionnaires de l'Empire qui appartenaient à la classe la plus élevée, celle des illustres, avaient pour juge criminel l'empereur en personne, et cela même après la résiliation de leurs fonctions. Les délits commis par les gouverneurs des provinces appartenaient au jugement du préfet du prétoire. Les officiers du palais étaient jugés par le magister officiorum les officiales par leur chef, les colons et les esclaves appartenant aux domaines impériaux, par le comes domorum.
Quant aux soldats, Octave avait confié la répression de leurs délits, en Italie, au préfet du prétoire, sauf certaines exceptions relatives aux centurions et autres officiers supérieurs. Dans les provinces de l'empereur, ils étaient soumis pour les délits légers, au pouvoir du lieutenant (legatus) commandant la légion, et dépendaient du président de la province pour les affaires capitales. Au contraire, les proconsuls, dans les provinces du peuple, n'avaient de juridiction pénale complète, c'est-à-dire allant jusqu'à la peine de mort, que lorsqu'elle leur avait été spécialement déléguée par l'empereur. Le souverain s'était réservé le jugement des officiers. Constantin transporta aux magistri militum le pouvoir judiciaire des préfets, et dès lors, tous les délits commis par les soldats (et non pas seulement les délits militaires) furent jugés par un tribunal militaire.
Il faut enfin mentionner ici ce qui concerne la juridiction des prêtres chrétiens. Les infractions commises par les gens d'église relativement à leurs fonctions sacerdotales ou leurs devoirs canoniques ne pouvaient naturellement point être du ressort des tribunaux laïques, mais avaient été de tous temps abandonnées à la sévérité des autorités ecclésiastiques. Leur juridiction, considérée comme un privilége de la dignité dont ils étaient revêtus, fut aussi étendue aux délits ordinaires des évêqùes et gens d'église. Valentinien III en rendit de nouveau la connaissance aux tribunaux laïques, et il en fut ainsi jusque dans le dernier état du droit.

Chapitre huitième.

De la Procédure pénale.

Une procédure criminelle ne pouvait généralement avoir lieu sans une accusation formelle. Les fonctions d'accusateur appartenaient dans les temps reculés aux deux quaestores parriâdii lesquels avaient aussi mission de convoquer les comices-centuries quand il s'agissait d'une instance criminelle. Plus tard, la charge d'accusateur fut imposée, en partie aux édiles qui le cas échéant réunissaient eux-mêmes les comices, et en partie aux tribuns qui étaient obligés de s'adresser au préteur pour la convocation des comices-centuries. Enfin le premier venu put se constituer accusateur. Il faut, en ce qui concerne la procédure, distinguer, au temps de la République, celle qui était en usage devant les assemblées populaires, de celle qui se pratiquait devant une commission (quaestio). L'acte par lequel commençait la première, était la sommation publique, faite par celui auquel incombait l'accusation, à celui contre lequel elle était dirigée, d'avoir à comparaître devant le peuple un jour déterminé, au sujet du crime désigné dans l'accusation. Si la plainte était formée devant les comices-centuries, le jour était indiqué par le questeur parricidii, qui remplissait les fonctions d'accusateur, et annoncé par ses ordres à son de trompe du haut du Capitole, le long des murs de la ville, et à la porte de l'accusé. Quand les tribuns voulaient remplir le rôle d'accusateurs devant les comices-centuries, le jour des débats était désigné par le préteur ; il'l'était par les tribuns quand le procès était engagé devant les comices-tribus. L'accusé était dûment cité pour se défendre, et tenu de garantir sa comparution en donnant caution, ou en se constituant prisonnier. Au jour désigné, l'accusation était portée devant le peuple réuni dans la forme des conciones; on lui demandait une condamnation à une peine désignée; il entendait la défense de l'accusé, appréciait les dépositions des témoins et les preuves offertes ; le tout était répété une seconde et une troisième fois après certains intervalles de temps. Après le troisième débat, qui alors ne durait pas longtemps, on procédait à la délibération, et le jugement était prononcé à la pluralité des voix.
Plus tard la procédure fut différente: le magistrat publiait son accusation par trois fois en trois jours différents; il la portait ensuite une quatrième fois après trois jours de marché, et faisait sa motion pour l'application d'une peine. Après la clôture des débats, on procédait au vote qui avait lieu par centuries ou tribus, d'abord verbalement, et plus tard à l'aide de petites tablettes. Quand l'accusé ne paraissait pas pour se justifier à l'appel de l'appariteur de justice, ou lorsqu'il faisait annoncer qu'il s'était exilé, on n'en poursuivait pas moins les débats contre lui malgré son absence.
Devant une quaestio, le premier acte de la procédure était la déclaration faite au président de la commission, de l'accusation qu'on voulait intenter, et la demande en autorisation nécessaire pour y donner suite. Si plusieurs accusateurs se présentaient en même temps, il fallait avant tout avoir recours à une divinatio pour donner la préférence à l'un d'eux, car il ne pouvait jamais y avoir qu'un seul accusateur pour le même crime; les autres avaient cependant la faculté de se joindre au premier à titre de suscriptores. Cette postulatio était suivie, après un certain délai, de la nominis delatio, à laquelle naturellement l'accusé était convoqué. On y formulait avec précision les termes de l'accusation qui était ensuite mise par écrit, et signée par l'accusateur; c'est ce qu'on appelait legibus interrogare. A partir de la loi Julia, l'accusateur fut tenu de produire un libelle d'accusation ou d'inscription signé de lui, rédigé d'après des formes prescrites, et joint ensuite aux pièces du procès. L'affaire était alors inscrite au registre du tribunal avec les noms de l'accusateur et de l'accusé, ce qui s'appelait nomen rei recipere, et l'on fixait l'époque à laquelle l'accusation serait portée devant le tribunal rassemblé. C'était d'ordinaire le dixième jour; cependant sur la demande de l'accusateur il lui était accordé un délai plus étendu pour faire l'instruction du crime et réunir les preuves.
Au jour indiqué, le héraut (praeco) appelait chaque partie à comparaître devant le tribunal. L'accusateur ne se présentait-il point, on effaçait du rôle le nom de l'accusé; si c'était l'accusé qui faisait défaut, il était condamné après de courts débats, et l'on confisquait ses biens. Cette procédure fut cependant adoucie sous l'Empire; l'accusé défaillant était mis au nombre des requirendi, et sommé par édit d'avoir à se présenter; lorsqu'après un an il n'avait point répondu à cette réquisition, ses biens étaient confisqués, mais aucun jugement de condamnation n'était prononcé contre lui. Quand les deux parties se présentaient devant la justice, et que le choix des jurés composant la commission avait été fait, on procédait sans interruption à l'exposé de l'accusation après lequel se produisait immédiatement la défense de l'accusé. Ces discours étaient suivis de l'altercatio, c'est-à-dire d'un dialogue rapide entre l'accusateur et l'avocat, par lequel les deux parties pouvaient au dernier moment résumer d'une manière vigoureuse les arguments les plus importants présentés de part et d'autre. Cette altercatio terminait les débats selon un usage de l'ancien droit qui existait encore au temps de la loi Acilia repelundarum; cependant la loi Servilia reputendarum y lit une exception pour ce genre d'accusation, en donnant après la défense la comperendinatio, c'est-à-dire un délai d'un jour que l'accusateur pouvait consacrer à une deuxième action à laquelle l'accusé était également libre de répondre. L'accusation et la défense étaient encore accompagnées d'autres discours tenus par des avocats (patroni) que l'accusé avait appelés à sa défense; il était aussi d'usage que l'accusé employât pour sa justification un certain nombre de laudatores ou de laudationes, c'est-à-dire de témoignages écrits rendus en sa faveur, mais l'abus qu'on fit des patrons obligea d'en restreindre le nombre, d'abord par les lois de Pompée, ensuite par la loi Julia enfin l'emploi des laudatores fut complétement défendu par Pompée. Les plaidoiries duraient souvent plusieurs jours, aussi Pompée fut-il encore obligé d'y imposer une mesure. Cette limite se maintint jusque dans les derniers temps, seulement il paraît que dans chaque cause le temps de l'orateur était mesuré à l'aide d'une clepsydre.
A l'origine, les témoins étaient d'ordinaire admis et interrogés après les plaidoyers de l'accusation et de la défense, et avant la seconde actio dans le cas de comperendinatio. Cependant l'accusateur était libre d'en faire usage immédiatement, soit qu'il.présentât ses moyens dans un discours suivi à la fin duquel il amenait ses témoins, soit qu'il les fît entendre après chaque point de son plaidoyer. Au contraire, d'après les deux lois de Pompée, les témoins devaient être entendus en premier lieu, et leurs dires déposés par écrit devant tous les jurés composant la commission; après quoi, le sort désignait quatre-vingt-un jurés devant lesquels commençaient les plaidoiries. Plus tard, il en fut encore autrement, probablement depuis la loi Julia; les témoins ne furent interrogés qu'après l'actio, comme cela avait lieu autrefois, et les orateurs ne purent invoquer leurs dépositions que d'une manière très générale. Les témoins étaient convoqués par les parties qui voulaient s'en servir, soit sous la forme d'une invitation à laquelle ils répondaient volontairement, soit par une citation que le juge autorisait à donner, et qui était accompagnée d'une sanction pénale en cas de non-comparution. Ce dernier avantage n'était cependant accordé qu'à l'accusateur. Les lois apportèrent aussi des limites au nombre de témoins qu'il était permis de convoquer, et s'occupèrent de la qualité des personnes, dont les unes ne devaient nullement être appelées en témoignage, et les autres ne pouvaient être contraintes à y venir. Quand leur tour était venu, les témoins étaient appelés devant les juges par le héraut (praeco); on leur faisait prêter serment; l'accusateur leur posait ensuite publiquement des questions, auxquelles l'accusé pouvait opposer aussi des interrogations dans un sens différent, genre de lutte dans lequel se déployaient surtout l'habileté et la souplesse d'esprit des avocats; ce n'est que plus tard que l'interrogatoire par le juge prit naissance, et seulement quand l'ancienne procédure fut tombée. Les déclarations des témoins étaient couchées par écrit et conservées pour l'instruction du procès. A défaut des témoins eux-mêmes, les parties pouvaient présenter des déclarations écrites auxquelles cependant on n'accordait qu'une médiocre importance. Les actes des autorités publiques dont on invoquait le témoignage au procès étaient déposés pendant trois jours entre les mains de la justice, pour éviter toute falsification; les déclarations des particuliers étaient produites dans le cours des débats. Enfin, on employait la torture contre les esclaves pour obtenir l'aveu du crime qu'on leur imputait, ou de la connaissance qu'ils en avaient ; seulement, l'accusateur qui proposait d'y soumettre un esclave, était tenu, pour le cas où son innocence serait reconnue, de dédommager le maître du préjudice qu'il pourrait en éprouver, et de constituer une caution à cet égard. On ne pouvait point mettre les esclaves à la torture pour déposer contre leur propre maître, si ce n'est sous l'ancien droit, dans le cas d'une instruction relative à la violation des mystères (inceste religieux); plus tard on put le faire pour crime d'adultère, de fraude en matière d'impôts, de crime dé lèse-majesté, mais non d'inceste, dans le sens ordinaire du mot. Sous l'Empire, on put appliquer à la question, selon les circonstances, les hommes libres eux-mêmes, non-seulement comme accusés, mais comme témoins; les personnes d'un certain rang telles que les sénateurs, les décurions et aussi les soldats, étaient seules exceptées, si ce n'est en cas de crime de lèse-majesté, ou aussi de magie dans certaines circonstances. La torture ne devait cependant être ordonnée que quand il existait déjà des indices et des preuves du crime, et on ne devait l'employer
qu'avec mesure et circonspection; elle était donnée hors de la présence du tribunal, par les valets du bourreau, sous les yeux d'un officier de justice qui fut plus tard le commentariensis. On enregistrait les déclarations du patient, afin de les produire devant les juges. L'aveu de l'accusé n'était point nécessaire, en présence de preuves suffisantes, pour déterminer la condamnation.
La clôture des débats était annoncée à haute voix par le héraut (praeco), et les jurés étaient immédiatement invités à procéder à leur vote qui amenait soit la condamnation ou l'absolution, soit l'ampliatio, quand l'affaire ne paraissait point assez claire; dans ce dernier cas, on procédait à de nouveaux débats. Mais la loi Servilia repetundarum qui avait introduit la comperendinatio dans ce genre de procès, ne permit plus de voter pour l'ampliatio. Le vote était secret.; d'après une loi Cornelia, on accordait à l'accusé le droit de décider lui-même s'il aurait lieu à haute voix ou secrètement, et dans le premier cas il se faisait dans l'ordre désigné par le sort; mais cet usage ne subsista pas longtemps. Chaque juré recevait, dans le cas où le vote était secret, une petite tablette de bois recouverte de cire, sur laquelle il inscrivait une des trois lettres décisives, puis il s'avançait, le bras découvert, cachant son vote avec la main, et jetait sa tablette dans l'urne destinée à la recevoir (1).

(1) La loi Servilia nous apprend qu'on se servait dans les procès d'une urne de terre (sitella, urna), pour y déposer les votes, et non d'une corbeille (cista) comme aux comices; on en trouve aussi la preuve dans les médailles de la gens Cassia. Le Pseudo-Asconius parle, il est vrai, de la cista mais cette circonstance ne peut infirmer l'autorité des autres témoignages.

Depuis la loi Aurélia, ou peut-être la loi Fufia, (695) chacune des trois décuries qui prenaient part au jugement vota dans une urne spéciale, mais les votes étaient réunis quand il s'agissait de les compter.
Il n'était point permis de continuer la discussion pendant le vote. Après l'accomplissement de cette formalité, le préteur tirait une à une les tablettes de l'urne, il les lisait et les remettait au juge le plus voisin de lui. La loi Servilia qui ne permettait point l'ampliatio, faisait compter pour la condamnation une tablette qui ne portait point de vote; l'égalité des voix emportait l'absolution. Quand la condamnation était accompagnée de l'adjudication d'une indemnité pécuniaire, les mêmes juges restaient réunis pour prononcer en qualité de recuperatores sur la litis aestimatio.
Les formes étaient généralement suivies pour les causes portées dans les provinces devant le préteur et le conseil qu'il choisissait au sein du conventus, réunion solennelle pour les assises; la sentence n'était point rendue par le tribunal tout entier, mais seulement par le préteur qui, sans doute, s'en rapportait habituellement à l'opinion de la majorité. Il en était de même sous l'Empire devant le préfet de la ville et les gouverneurs qui n'avaient d'autre conseil que leurs assesseurs.
Devant le Sénat, on observait de même les formes ordinaires pour l'accusation et la défense qui étaient suivies d'une question relative à l'absolution ou à la condamnation, et d'un vote définitif.
Après la disparition des anciennes quaestiones, la procédure fut toujours extraordinaire. Toutefois, on conserva l'ancien principe en vertu duquel il fallait pour accuser s'inscrire par un libelle. Une exception fut admise en matière de faux; un rescrit d'Antonin permettait au juge de recevoir en ce cas une plainte verbale. Constantin, après avoir approuvé cet usage l'abolit presque immédiatement ; il fut rétabli par Gratien 109) et supprimé de nouveau sous Justinien. On permit cependant dans certains cas de formuler une accusation par une simple déclaration verbale faite au greffe, sans remplir la formalité de l'inscription. Ce privilége appartenait notamment aux femmes dans les cas exceptionnels où elles étaient admises à former une accusation, et au mari qui dénonçait l'adultère de sa femme. Après la plainte, le juge lançait le mandat d'amener que le commentariensis faisait exécuter par ses subordonnés. Cet officier amenait aussi l'accusé devant le tribunal et dirigeait la procédure à l'aide de ses employés. Les débats étaient publics, et l'enceinte du tribunal était ouverte en général à tout le monde; cependant le juge se retirait derrière un rideau pour la rédaction de la sentence ; elle était mise par écrit, lue ex tabella sur minute, et ensuite expédiée par l'instrumentarius.
Relativement à la personne de l'accusateur, bien des prescriptions légales devinrent nécessaires lorsque la poursuite des délits fut remise entre les mains des citoyens eux-mêmes.
Un grand nombre de personnes furent écartées du droit d'accusation à cause de leur âge, de leur sexe, de leur position sociale, de la privation de l'honneur civique qu'elles avaient encourue, ou de leur manque de fortune. Les esclaves et les affranchis, qui au reste avaient sous l'Empire le droit d'intenter une poursuite publique, ne pouvaient, par un sentiment de respect, mettre en accusation leur maître ou patron quand il s'agissait d'une peine capitale, le crime de lèse-majesté excepté; de plus il était défendu d'intenter en même temps deux actions pénales, et quand on était accusé soi-même, on n'était autorisé à poursuivre contre un autre qu'une accusation plus grave.
Des récompenses étaient attachées au succès d'une accusation que l'on considérait comme un service rendu à la société; cela se faisait déjà sous la République pour l'ambitus, et plus tard pour d'autres crimes encore. On cherchait cependant d'autre part à sévir autant que possible contre les auteurs de poursuites intentées par pur désir de nuire. C'est à cela que tendait avant tout le serment calumniae causa qu'était obligé de prêter l'accusateur. De plus, la loi Remmia, dont la date est incertaine, formula diverses pénalités contre ceux qui avaient été parties dans une accusation criminelle calomnieuse; l'une d'elles consistait à imprimer avec un fer rouge la lettre K sur le front du coupable. Trajan voulut que l'on remplaçât cette peine par celle que l'accusé aurait subie dans le cas où il eût été condamné. Celle-ci fut considérée alors comme une obligation découlant de la subscriptio de l'accusation L'auteur d'une poursuite calomnieuse intentée pour crime de lèse-majesté, nom de ceux qui pouvaient être les instigateurs du crime.
Celui qui avait calomnieusement accusé quelqu'un d'un crime extraordinaire, était puni d'une peine extraordinaire. Cependant toute accusation non prouvée n'était pas considérée comme calomnieuse; c'était aux juges à prononcer spécialement sur cette question. Il y avait aussi certaines plaintes que l'on pouvait intenter sans rien craindre à ce sujet.
Une autre disposition légale, unie par un rapport étroit avec ces dernières, était celle en vertu de laquelle on était tenu de poursuivre jusqu'au bout l'instance que l'on avait commencée. L'accusateur était obligé de donner caution à cet égard; il était même (quand sa position ne l'en dispensait pas) conduit en lieu de sûreté avec l'accusé, et s'il tergiversait, c'est-à-dire s'il se désistait volontairement de la plainte, il subissait les peines du sénatus-consulte Turpillien porté sous Néron (814). On ne pouvait donc généralement abandonner une accusation que lorsqu'on en avait poursuivi l'abolition devant la justice, et encore n'était-elle habituellement accordée que du consentement de l'accusé, et sans pouvoir l'être toujours, cette condition même remplie. Cette obligation faite à l'accusateur cessait par sa mort ou un empêchement légitime, et alors l'accusé pouvait de son côté demander l'abolitio pour ne pas vivre toujours sous le poids de l'accusation. Quelquefois aussi une abolition générale était publiquement accordée pour célébrer quelqu'événement heureux pour l'Etat, et cela était sans doute institué dans l'intérêt de l'accusateur avant tout; néanmoins il lui était permis de reprendre son accusation pendant trente jours (et pas plus) sans compter celui de la fête. Enfin, le législateur dut se préoccuper aussi de réprimer la prévarication. Le sénatus-consulte Turpillien la punissait comme l'accusation calomnieuse, et cette assimilation subsista longtemps sur la. plupart des points.
Passons à l'accusé. Il n'était point permis, en considération de leur service public, de mettre en accusation les magistrats en fonction; la poursuite criminelle devait être renvoyée jusqu'à l'expiration de leur magistrature, à moins qu'ils ne consentissent volontairement à y répondre, qu'ils n'abdiquassent leur charg, ou ne fussent contraints de donner leur démission par suite de circonstances trèspressantes.
Un sénatus-consulte de l'an 773 ordonnait de poursuivre les esclaves selon les formes ordinaires par la voie de l'inscription. La comparution en personne était de règle, soit pour la défense, soit pour l'accusation. Le prévenu ne fut d'abord retênu prisonnier qu'en cas de délit flagrant et manifeste ou lorsqu'il y avait aveu ; ordinairement une caution suffisait ou l'on se contentait d'infliger les arrêts, sans chaînes ni entraves, dans la maison d'un magistrat. Mais plus tard, une détention proprement dite dut accompagner le mandat d'arrêt, seulement l'agent qui était chargé de la faire exécuter devait accorder à l'accusé, quand il le demandait pour l'arrangement de ses affaires, au moins trente jours, pendant lesquels sa captivité était adoucie. En cas de crime grave et manifeste, les autorités du lieu pouvaient aussi, sans mandat d'arrestation, retenir le malfaiteur qu'on leur avait amené, mais elles devaient le renvoyer au gouverneur dans un bref délai, avec ses accusateurs et leur rapport. La détention de l'accusé avait lieu selon la détermination du gouverneur, et pouvait s'exécuter de trois manières. L'accusé était, ou confié à des personnes qui en répondaient comme caution; ou soumis à la garde militaire; ou emprisonné. La garde militaire pouvait être modérée, mais elle pouvait aussi être très rigoureuse. Quelquefois on y employait, au lieu de militaires, les esclaves publics de la ville. L'accusé n'était point enchaîné dans la prison, si ce n'est en cas de crimes graves, et même alors on devait le traiter avec les égards commandés par l'humanité. On usait naturellement de moins de ménagements avec les condamnés ou les accusés dont le crime était avoué.
La surveillance des prisons appartenait à Rome aux trimnviri capitales, et aux esclaves qui étaient sous leurs ordres. Dans les provinces, elle rentrait dans les attributions du préteur, qui était tenu de faire faire des rapports détaillés sur les emprisonnements. Plus tard, les prisons furent confiées au commentariensis, sous la subordination duquel se trouvaient placés des archers et des geôliers. Son devoir était de faire un rapport mensuel sur les détenus, et de pourvoir à l'exécution de la règle, relativement douce, des prisons, sur lesquelles les évêques furent appelés à exercer une mission de surveillance.
L'exécution suivait de très près le jugement, quand il n'y avait point de pourvoi exercé ou possible. Ce n'est que pour les condamnations capitales prononcées par le Sénat qu'on dut accorder un délai de dix jours avant l'exécution; il était de trente jours pour les sentences par lesquelles l'empereur lui-même avait prononcé des peines graves. C'étaient autrefois les quaestores parricidii qui présidaient aux exécutions; plus tard, ce furent les triumvirs avec les valets de bourreau; dans des circonstances célèbres, ce fut un questeur, un tribun, le préteur, ou même un consul avec les formes usitées dans l'ancien droit; enfin le préfet des vigiles ou le praetor populi. Hors de Rome, le président de la province y déléguait un centurion; quelque temps après, cela fit partie des fonctions du commentariensis. L'exécution était faite par un licteur quand il s'agissait de la décapitation; lorsque l'accusé devait subir une mort infamante, la sentence était exécutée par le bourreau qui, d'après les censorioe leges, ne pouvait point habiter la ville. Plus tard, on employa pour ce service un individu attaché à l'armée, le speculator. Les exécutions avaient lieu hors des portes, en un lieu destiné à cet usage, et qui était la propriété de la ville. Le corps du supplicié était abandonné aux bêtes, ou ignominieusement traîné à la rivière; plus tard cependant on le livra habituellement aux parents qui le réclamaient pour l'ensevelir. Les menus objets mobiliers que le condamné avait sur lui étaient déposés dans une caisse particulière chez le président de la province. Lorsque le juge avait prononcé une peine pécuniaire, le condamné était tenu de donner caution au trésor public, ou de se constituer prisonnier; et quand le payement n'avait pas lieu, les questeurs étaient envoyés en possession des biens. Dans ce cas, et dans d'autres encore où les biens d'un condamné étaient vendus par l'Etat, on appliquait les règles de la bonorum sectio. Les voies de recours appartenant à l'accusé étaient: le droit de provocation au peuple, avec toute l'étendue qu'il comportait, et l'appel aux tribuns Ces derniers pouvaient être invoqués dès le principe contre l'accusation ou la demande d'une peine. Ils rendaient alors un décret en forme, après une délibération prise dans leur collége, à la majorité des voix. Quant aux quaestiones qui étaient instituées par le peuple, et aux commissions qui le représentaient, leurs sentences ne pouvaient donner lieu à la provocation. C'est avec l'Empire que commencèrent les appels au prince. Le recours aux autorités supérieures finit par devenir d'un usage ordinaire, et fut soumis aux mêmes formes et conditions que celui qu'on exerçait dans les affaires civiles. Le premier venu pouvait interjeter appel pour le condamné. Il y avait cependant certains crimes graves dont la punition ne pouvait être différée par l'appel quand il il y avait eu aveu complet ou preuve évidente.
On trouve un exemple de l'abolition de la peine sous la République, où l'on voit le peuple accorder la grâce et le rappel d'un exilé; peut-être aussi le tribunal qui avait prononcé la condamnation, était-il autorisé à cet égard.
Sous l'Empire, ces faveurs furent de deux espèces; mentionnons d'abord la grâce (indulgentia) accordée par l'empereur pour un cas déterminé ou pour toute une série de délits de la même espèce; tantôt remettant la peine déjà prononcée, tantôt mettant en oubli la procédure commencée dans une affaire encore pendante ; il y avait ensuite la restitution qui effaçait le crime et la peine, et remettait absolument le condamné dans l'état dans lequel il se trouvait avant le fait incriminé. Une touchante manifestation du droit de grâce avait lieu sous l'empire de l'ancienne religion, lorsque dans des moments de détresse on implorait le secours des dieux par des sacrifices et des supplications; les captifs étaient alors débarrassés de leurs chaînes pour ne plus les reprendre. C'est le même esprit qui, sous les empereurs chrétiens, à Pâques, en ce grand jour d'allégresse de la chrétienté, faisait rendre la liberté à ceux qui avaient été mis en prison pour des délits de peu d'importance .
La procédure criminelle que nous avons décrite jusqu'à présent n'excluait cependant pas d'autres moyens activement employés par la puissance publique pour la recherche et la punition des crimes. On en trouve déjà des exemples à l'origine de Rome, dans des cas extraordinaires, à propos desquels, sur l'ordre du peuple soit du Sénat on employait la procédure d'enquête contre tous ceux qui avaient pris une part quelconque à un crime dénoncé aux autorités. Ici la procédure prenait un caractère tout à fait inquisitorial. Des récompenses étaient promises aux dénonciateurs, des arrestations étaient ordonnées et des citations envoyées sur des indices offrant quelque probabilité; on faisait subir des interrogatoires et on prononçait des condamnations. Un pouvoir semblable était exercé dans les provinces par le gouverneur contre les gens dangereux et ennemis du repos public. En Orient, les Irénarques étaient obligés de seconder les efforts des autorités. C'est dans cet esprit que furent particulièrement dirigées tant d'enquêtes contre les chrétiens. Il faut aussi rattacher à ce genre de procédure les règles sur les indices et les quadruplatores. On entendait surtout par les premiers les complices qui avaient dévoilé à la justice le plan d'un crime, et auxquels dans certains cas on accordait l'impunité. Le nom de quadruplaltres se rapportait, autant qu'on peut le supposer, à des récompenses qui, dans des cas désignés, étaient prises sur les biens du condamné pour les distribuer aux délateurs qui l'avaient livré. Dans les derniers temps de l'Empire, il fut de principe qu'en général les crimes pouvaient aussi être dénoncés par les employés composant les bureaux des magistrats, et par les agents de police répandus dans les diverses parties de l'Empire. La formalité de l'inscription n'était plus nécessaire ici mais les dénonciateurs étaient tenus de défendre et d'expliquer leur rapport.
Il reste encore à mentionner, en matière de procédure criminelle, celle qui était en usage pour des infractions plus légères. Les châtiments et les amendes qu'un magistrat croyait devoir infliger pour le maintien de son autorité étaient prononcés sans aucune procédure, et les amendes immédiatement assurées par la saisie d'un gage. L'argent était, sans nul doute, versé dans le trésor des sacrifices. Les amendes formellement prononcées par les lois pour punir un fait incriminé, donnaient lieu à une action devant le préteur et à la nomination de récupérateurs. La perception s'en faisait aussi par la saisie de gages ou, quand il le fallait, par une prise de possession du patrimoine au profit du trésor public ou de la caisse des sacrifices. Dans les provinces, le président fut investi d'un pouvoir général à l'effet de poursuivre et de punir sommairement les infractions légères. Les accusations portant sur des délits peu graves et soumis à la compétence des magistrats ou des défenseurs des cités, pouvaient à plus forte raison s'intenter sans la formalité de l'inscription.

FIN DE L'OUVRAGE

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